Depuis 2016, les pharmaciens adjoints ont la possibilité d’acquérir jusqu’à 10 % des parts d’une officine exploitée sous le statut de SEL (société d’exercice libéral). Ce dispositif, prévu par l’article L 5125-13 du Code de la santé publique, a été conçu dans le but de faciliter l'intégration des jeunes diplômés au capital des officines. Derrière la formule, cependant, se dessinent différents objectifs. « Il s’agit principalement de créer une passerelle entre le statut de salarié et celui de titulaire car le mécanisme permet aux adjoints de s'impliquer davantage dans la gestion de l'officine, tout en conservant leur contrat de travail, ce qui sécurise leur emploi », explique Bertrand Cadillon, expert-comptable en charge du marché de la pharmacie chez Fiducial.
Un autre enjeu affleure dans l’esprit du dispositif. L’idée, en facilitant l’accès au capital, est également d’encourager les jeunes pharmaciens à s'investir sur le long terme dans leur structure de travail, en leur offrant une perspective d'évolution vers la titularisation. « Cette mesure s’inscrit dans un contexte où la profession cherche des solutions pour attirer les jeunes diplômés qui manquent souvent de fonds personnels pour prendre part au capital d’une officine. » Plafonné à10 %, le dispositif permettrait aux adjoints de faire un premier pas vers la titularisation sans engagement financier majeur.
Un statut ambivalent
Cette possibilité, qui ouvre au pharmacien salarié de nouvelles perspectives d’évolution, semble particulièrement attrayante, comme le souligne Bertrand Cadillon : « De prime abord, les avantages paraissent significatifs pour l’adjoint qui peut participer au capital d’une SEL, lui permettant d’être reconnu comme coassocié, ce qui renforce son implication. De plus, ce mécanisme lui permet de valoriser sa contribution à l’activité de l’officine et de se positionner d’une manière claire pour une future titularisation. »
Le dispositif a cependant ses limites comme en témoigne Valentin qui, avant de finir par s’associer à 50/50, avait d’abord considéré la possibilité d’entrer au capital de son officine. « Compliqué de trouver sa place aux côtés d’un titulaire qui a l’habitude de gérer seul la structure et de prendre toutes les décisions. Quel aurait été mon rôle, mon statut face aux interlocuteurs et partenaires de l’officine ? », s’était-il interrogé. Un autre argument, concernant la revente des parts, avait rapidement émergé, confortant sa méfiance vis-à-vis du projet. « 10 % du capital c’est difficile à revendre. Qui voudrait d’une si modeste participation ? » Le dispositif, en revanche, lui avait semblé plus avantageux pour le titulaire. « Il profite d’un apport financier et peut compter sur la motivation de l’adjoint qui logiquement va s’investir bien plus dans le fonctionnement de l’officine puisqu’il aura une part des bénéfices. »
Une réflexion que Bertrand Cadillon envisage différemment : « Dans les faits, la fraction de 10 % des titres est souvent jugée insuffisante pour créer une réelle motivation dans la gestion de l’officine. » Il confirme, toutefois, l’ambivalence d’un statut qui fait de l’adjoint le détenteur d’une infime partie de l’officine tout en restant son salarié. « L'adjoint doit jongler entre deux statuts ce qui peut créer parfois des tensions, notamment en termes de prise de décisions. De plus, si une mésentente se crée avec le titulaire, la séparation peut également devenir compliquée, notamment en ce qui concerne la fin du contrat de travail et la valorisation des parts à racheter. Tout cela peut mener à de potentiels litiges. »
Plus confortable pour le titulaire ?
Au final, si l’on compare les deux parties en jeu dans ce mécanisme, la balance pourrait bien peser en faveur du titulaire en termes d’avantages. Car l’entrée de l’adjoint au capital de l’officine lui permet d’actionner deux leviers de poids pour l’avenir de la structure. « C’est une stratégie de fidélisation précieuse », poursuit Bertrand Cadillon. « Cela permet au titulaire de préparer une transmission progressive de l’officine pour un départ en retraite, tout en renforçant l’engagement de son collaborateur. Il pourra, en outre, bénéficier d’une meilleure gestion de l’officine tout en répartissant les responsabilités, ce qui peut le soulager de certaines charges. »
Le mécanisme n‘est toutefois pas sans risque pour le titulaire. En ouvrant son capital, il partage des informations sensibles sur la gestion de l’officine et sur ses chiffres, ce qui peut le rendre plus vulnérable. « Être amené à révéler des données confidentielles, comme les comptes de la pharmacie, au salarié même s’il est coassocié, peut faire renoncer le titulaire à ouvrir son capital. » Dans les faits, cependant, le renoncement ou le désintérêt est plutôt le fait de l’adjoint. « Selon nos propres observations, le nombre d'adjoints ayant réellement sollicité une entrée au capital plafonnée à 10 % semble faible », conclut l’expert-comptable. Une révision des dispositions, comme une augmentation du seuil de participation, pourrait peut-être rendre le dispositif plus attractif et ce pour les deux parties. « Non seulement, le plafond devrait être rehaussé mais le dispositif doit également être mieux connu des pharmaciens », souligne Cécile Guérard Detuncq, conseillère à la section D pour la région Normandie. Adjoints et titulaires auraient tout à y gagner car, dans ce système, ils s’investissent ensemble dans l’avenir de leur officine. « C’est un projet qui doit être planifié à deux, en prévoyant les étapes d’une entrée de plus en plus conséquente de l’adjoint au capital, et accompagné par le titulaire. Le projet, qui se traduit par un apport financier utile au fonctionnement de l’officine, peut, par ailleurs, favoriser la mise en place de nouvelles missions ou d’aménagements de l’espace permettant de les proposer. » Un cercle vertueux vers lequel tendait sans doute l’esprit de la loi. « Il n’est pas inutile d’ajouter, qu’à son origine, ce texte visait aussi à initier une reprise en douceur d’officine par des hommes de l’art afin de couper l’herbe sous le pied à des investisseurs externes », ajoute Bertrand Cadillon.
Trois questions à…
Philippe Denry, pharmacien, vice-président de la FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France)
Le Quotidien du pharmacien. – Dans quel objectif a été conçu le dispositif permettant à l’adjoint d’entrer au capital de l’officine à hauteur de 10 % maximum ?
Philippe Denry. – Ce dispositif doit faciliter la prise de parts et au final la transmission de toute l’officine, gestion de l’entreprise et capital, à l’adjoint. C’est un processus progressif dans lequel l’adjoint conserve son statut de salarié et la protection sociale que cela suppose tout en bénéficiant, à hauteur de sa participation, des résultats de la structure. Le mécanisme, s’il est fructueux, peut conduire l’adjoint à entrer de plus en plus au capital de l’officine jusqu’à le détenir entièrement.
Pourquoi ce dispositif n’intéresse-t-il que peu d’adjoints ?
Le problème semble venir du plafond des 10 %. D’une part, ce seuil nécessite quand même de disposer d’une somme importante équivalant à 180 000 euros si l’on considère que le prix moyen d’une officine est de 1,8 million d’euros. Un adjoint qui peut fournir un tel apport doit logiquement pouvoir souscrire un emprunt qui lui permette de racheter la totalité du capital de l’officine afin d’en être le seul titulaire. S’il ne dispose pas d’un apport à hauteur de 10 % maximum des parts, il devra emprunter la somme auprès d’une banque qui pourrait refuser le prêt au prétexte que le plafond de participation aux bénéfices sera trop faible pour lui permettre de rembourser son emprunt en toute fiabilité.
10 % est un facteur limitant dans ce contexte. On a évoqué la possibilité de relever le seuil jusqu’à 20 % ou 25 % des parts tout en conservant à l’adjoint son statut de salarié. Un plafond rehaussé permettrait de dégager des revenus bien supérieurs facilitant les opérations de remboursement d’un éventuel prêt bancaire.
L’entrée de l’adjoint au capital peut-elle conduire à préserver la structure officinale d’une fermeture ?
Ça n’est pas l’objectif du dispositif qui est de faciliter l’évolution de l’adjoint vers la titularisation. Si la pharmacie est en difficulté, il n’y aura pas de prise de parts. L’adjoint qui entre au capital doit se sentir bien dans sa pharmacie et avoir envie de s’y investir. Il doit évoluer dans un rapport de confiance avec le titulaire. Ensemble, ils signent un pacte d’associé qui prévoit la revente des parts au titulaire s’il quitte la structure. Mais l’objectif du dispositif est que l’adjoint puisse reprendre l’officine et en devenir le titulaire.
En attendant, le fait qu’il puisse conserver son statut de salarié lui permet de se concentrer sur ses missions de santé, de ne pas trop subir la pression qu’impose la gestion d’une officine - le management de l’équipe, les négociations avec les fournisseurs, la gestion administrative…- tout en étant intéressé aux résultats.
Propos recueillis par Anne-Sophie Pichard
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