Par manque de temps ou d’effectifs, il n’est pas toujours simple pour le pharmacien de maintenir son niveau de compétence et celui de ses équipes, ou de répondre à ses obligations dans le cadre du Développement professionnel continu (DPC). Il est en effet soumis à une obligation triennale de réaliser un DPC qui combine formation et évaluation des pratiques professionnelles et/ou de la gestion des risques.
Et en la matière, les domaines structurants pouvant faire l’objet d’une formation ne manquent pas, tant le métier est en constante mutation. En témoignent les nouvelles missions, bien sûr, mais aussi la percée du numérique à travers le Ségur de la santé, la myriade d’outils digitaux qui s’invitent en officines, de même que les problématiques de cybersécurité qui en découlent. Au point que « le numérique en santé constitue une orientation prioritaire du développement professionnel continu (DPC) pour la période 2023-2025. Cette thématique, à laquelle les professionnels peuvent se former, prévoit d’aborder la cybersécurité », comme l’écrit l’Ordre des pharmaciens sur une page intitulée : « Cyberattaques : comment lutter contre le hacking des données de santé ? »
Priorité aux compétences jugées « utiles »
En pratique, la formation à ces sujets centraux se heurte à la réalité du terrain. Déjà extrêmement sollicités, les pharmaciens rationalisent et sélectionnent leurs programmes de formation avant tout en fonction de leurs obligations, en les centrant en priorité sur les thèmes qu’ils estiment servir le mieux leur activité.
« Le marché de la formation professionnelle continue en pharmacie est principalement déterminé par l’obligation réglementaire de se former pour le titulaire, l’adjoint ou le préparateur. Et en général, le titulaire est responsable du suivi de la réalisation des obligations de son équipe, et indirectement, c’est lui qui choisit (les programmes en fonction des besoins, ndlr) », développe Stéphanie Corre, directrice Santé, qualité et formation chez Giropharm.
Dans ce contexte, les demandes en formation sont dominées par les nouvelles missions qui s’intègrent au DPC. « Vous vous formez plutôt sur ce qui concerne votre activité. Donc sur les nouvelles missions, la vaccination, les tests… ou tout ce qui est utile au patient. Les questions liées au numérique ne sont pas nos premières préoccupations », concède Jean-Baptiste Chouane, docteur en pharmacie et pharmacien de terrain.
Les résultats du dernier rapport d’activité 2024 de l’ANDPC (Agence nationale du développement professionnel continu) abondent dans ce sens et montrent que trois thématiques concentrent à elles seules 80 % des inscriptions des pharmaciens au développement professionnel continu. En tête, l’orientation prioritaire liée à la « prévention des infections et de l’antibiorésistance », avec plus de 54 % du total. Suit la « promotion de la vaccination et l’amélioration de la couverture vaccinale » (14 % des inscriptions). En troisième position, 12 % des pharmaciens ont suivi l’orientation sur « le bon usage des médicaments », puis de l’« amélioration de la prévention, du dépistage, du diagnostic et de la prise en charge des cancers » (3,6 %), et du « repérage, accompagnement et prise en charge des pratiques addictives » (3,4 %).
Des sujets abordés de manière détournée
Nuance oblige, les sujets liés au numérique ne sont pas totalement absents des programmes, mais ils sont le plus souvent abordés de manière transverse. Marie-Pierre Béranger, présidente de l’Unoformation, l'association des organismes de formation des équipes officinales, rappelle que « la prise en charge par les organismes financeurs ne peut pas se faire sur un programme qui concernerait un seul outil, tel qu’un logiciel. Il est, en revanche, possible de parler de la digitalisation des activités dans leur généralité », avec, toujours comme objectif principal, l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.
Stéphanie Corre abonde dans ce sens : « Nous abordons de plus en plus les solutions numériques dans nos formations, sans les mettre en avant par souci de neutralité. Dans le cadre des bilans de prévention par exemple, il s’agit des technologies basées sur l’IA qui automatisent le recueil des données et facilitent le recueil et l’analyse. »
Omniprésente depuis le lancement de ChatGPT en 2022, l’IA pourrait d’ailleurs tirer son épingle du jeu dans le cadre de la formation continue. Magali Hubert-Faucheux, directrice marketing de Ma Formation Officinale, confie au « Quotidien du pharmacien » que l’entreprise travaille actuellement à l’élaboration de programmes centrés sur l’intelligence artificielle, et autour des usages qui peuvent « directement apporter de la valeur ». Sans plus de précisions.
L’épineuse question du financement
Dans les faits, rien n’empêcherait un pharmacien de suivre d’autres formations annexes. Sur le site de l’Opérateur de compétence des entreprises de proximité (OPCO-EP), dans le cadre du Plan de développement des compétences (PDC) – à distinguer du DPC, qui concerne la montée en compétences des salariés –, des financements sont fléchés vers le numérique à travers une action intitulée « Santé numérique / digitalisation des activités ». Réservée aux entreprises de moins de 11 salariés, elle prend en charge quatorze heures de formation, sauf sur site (hormis la FOAD, formation à distance, les classes virtuelles, ou les sessions en soirée après 19 heures, le dimanche et/ou les jours fériés). Des financements existent bien sûr ces questions, dans d’autres cadres.
Mais les conditions apparaissent comme autant d’obstacles pour les petites structures, qui souffrent d’un manque de temps chronique et ne seraient pas avares de quelques aménagements. À noter que cette formation existe également pour les entreprises de 50 salariés et plus, avec des conditions moins contraignantes.
Les pharmaciens ne pourraient-ils pas suivre des formations en dehors du cadre obligatoire et des organismes conventionnels ? Quid des formats courts, par exemple, qui permettraient aux équipes officinales d’accorder un peu de leur temps précieux pour se former à des sujets structurants comme la cybersécurité ou l’ordonnance numérique ? Mais ce serait sous-estimer la question de la prise en charge, qui oriente, de fait, le choix du professionnel. Pour l’heure, sur les DPC, de tels formats sont à écarter : « L’ANDPC ne prend pas en charge des sessions de moins de trois heures », note Stéphanie Corre.
Dans ce contexte, plusieurs alternatives existent. Soit la formation est proposée par un organisme avec une tarification directe : « Or, les pharmaciens n’ont pas intégré la culture de s’autofinancer et sont habitués aux dispositifs pris en charge », souligne-t-elle. Soit le coût est supporté par un groupement qui choisit d’intégrer ces problématiques dans une stratégie globale, via des formations ou des interventions d’experts, mais sans délivrance d’attestation, ni financement par un organisme officiel.
Le rôle du groupement et des éditeurs
Et en effet, les éditeurs de solutions et les groupements peuvent jouer leur partition dans l’accompagnement de leurs membres, tant pour une bonne prise en main des outils digitaux que pour une meilleure compréhension des grandes thématiques du numérique qui impactent directement l’officine. « En tant que groupement, nous pouvons être amenés à diriger des sessions en dehors du cadre des organismes, pour décrypter ces nouveaux usages autour du Ségur, de l’ordonnance numérique ou de l’intelligence artificielle », développe Stéphanie Corre.
Lors de son dernier congrès, Giropharm a, par exemple, fait intervenir un expert en IA, qui a dressé un panorama des usages en pharmacie : gestion du back-office, du point de vente, de la relation avec les patients, conduite des nouvelles missions… « Cela a permis de se plonger un peu dans tous les usages de l'IA, de voir comment elle pourrait faciliter le quotidien des équipes officinales et leur faire gagner du temps. »
Mais sur le terrain, la question de l’accompagnement et de la formation aux outils ne va pas toujours de soi : « Dans toutes les pharmacies où j’ai exercé, on ne nous explique pas forcément comment ça marche. Ou alors, c’est l’équipe officinale qui s’en charge très rapidement. Et ce, rarement sur une session de deux heures, mais plutôt de 30 secondes », fait remarquer Jean-Baptiste Chouane. À la dure, en somme !
Quel format pour la cybersécurité ?
Dans la sphère numérique, la cybersécurité gagne en importance, d’autant plus dans le milieu de la santé où le risque cyber va croissant et soulève de nombreuses préoccupations : fuites de données, sécurité des systèmes, respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), entre autres. Selon l’entreprise de conseil et de recherche Gartner, 95 % de toutes les cyberattaques surviennent à la suite de l’imprudence d’un employé. Petite structure oblige, les pharmacies ne disposent que très rarement de leur propre responsable sécurité des systèmes d’information (RSSI) et doivent faire face, seules, à des problématiques de cybersécurité souvent complexes.
L’Ordre national des pharmaciens invite ainsi à se former aux bonnes pratiques d’hygiène informatique, afin de sécuriser les données de santé. Le site Démarche Qualité à l’Officine (DQO) propose une fiche dédiée à la protection des données de santé. En complément, le guide Le pharmacien d'officine et la protection des données personnelles (septembre 2023), publié par l’Ordre et la Cnil, détaille les obligations liées au RGPD et fournit des conseils pour gérer les violations de données ou les contrôles Cnil.
L’Agence du numérique en santé (ANS) met également à disposition un mémento de sécurité et des fiches pratiques destinées aux professionnels de santé libéraux. Sans oublier le DPC dédié au numérique en santé qui, comme mentionné plus haut, prévoit d’aborder la cybersécurité. Le groupement, lui, peut aussi jouer sa partition. « C'est un sujet que nous abordons dans le cadre de notre démarche qualité, à travers des fiches d’informations traitant des bonnes pratiques. Mais nous sommes ici plutôt dans le domaine de la sensibilisation et de la prévention », décrypte Stéphanie Corre.
L. .B
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