Cas de comptoir
Le contexte :
Marie-Amélie, 52 ans : « L’oncologue m’a prescrit des compléments pour que je ne perde pas trop de poids pendant ma chimiothérapie. Que pouvez-vous me conseiller ? »
Votre réponse :
« Il existe différents types de compléments nutritionnels oraux selon vos envies : yaourt à boire, crème dessert ou jus avec différents arômes. Si vous subissez une altération du goût, il vaut mieux commencer par des produits aux arômes neutres, incorporés dans des plats ou bien à distance des repas (collations du matin et de l’après-midi). Il ne faudra pas non plus oublier d’enrichir l’alimentation avec des produits énergétiques et/ou protidiques. »
Dénutrition, malnutrition, quelles différences ?
La dénutrition correspond à un déséquilibre nutritionnel lié à une insuffisance d’apport en protéines, nutriments et énergie par l’alimentation par rapport aux besoins de l’organisme. Il s’agit d’un diagnostic médical se posant sur des critères cliniques et biologiques. Les conséquences sont un amaigrissement important, une fonte musculaire, une diminution du tissu adipeux et une altération du pronostic de toutes les malades.
La dénutrition se distingue de la malnutrition qui comprend les carences, les excès ou les déséquilibres dans l’apport énergétique et/ou nutritionnel d’une personne. On parle ainsi de malnutrition protéino-énergétique qui correspond à une carence énergétique due à un déficit chronique en tous macronutriments : glucides, lipides et protéines.
La dénutrition résulte le plus souvent d’une diminution des apports alimentaires. Cette diminution peut être volontaire (précarité, régimes restrictifs…), intentionnelle et souvent liée à une pathologie psychiatrique (anorexie, dépression) ou non intentionnelle comme chez les séniors ou en cas de troubles de la déglutition. La dénutrition peut aussi être liée à une augmentation des besoins énergétiques mais non couverts par l’alimentation. Elle se rencontre alors en cas de situation d’hypercatabolisme (hyperthyroïdie, syndrome inflammatoire), de thermogenèse excessive due à un excès de catécholamines ou bien en cas d’activité physique d’endurance trop intense et non compensée. Enfin, la dénutrition peut survenir par augmentation des pertes énergétiques et protidiques. Les situations sont nombreuses : pathologies digestives diverses (vomissements, maladie cœliaque, maladie de Crohn, entéropathie exsudative, insuffisance pancréatique) ou pathologies chroniques (BPCO, pathologies cutanées à type de brûlures ou plaies étendues, syndrome néphrotique, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, alcoolisme, douleur chronique, infection au VIH…). Les traitements lourds comme les chimiothérapies anticancéreuses et certains neuroleptiques favorisent également la dénutrition.
Chez la personne âgée, le risque de dénutrition est élevé : elle est pratiquement de 50 % pour les personnes âgées de plus de 65 ans. Ce risque augmente considérablement lorsque la personne se retrouve hospitalisée ou en institution. Il convient donc d’être vigilant en cas de perte de poids même minime.
Les conséquences de la dénutrition sont diverses. L’immunité baisse et survient plus fréquemment et plus sévèrement des infections voire des surinfections. En résulte également une faiblesse musculaire à l’origine de chutes et de diminution de l’activité physique. Les troubles digestifs sont plus nombreux (constipation, digestion plus lente), ainsi que les troubles hormonaux et psychiques (irritabilité, tendance dépressive, difficultés de concentration et de mémorisation…).
Conduite à tenir
Les patients dénutris ou à risque de dénutrition doivent être étroitement surveillés. À l’officine, la pesée hebdomadaire peut être proposée afin de suivre l’évolution du poids. En plus des conseils alimentaires et de la proposition de CNO, il faudra surveiller l’apparition de troubles de la dentition ainsi qu’aux troubles digestifs, sources d’inconfort et de perte de l’appétit.
Veiller à des apports suffisants
Le recours à des CNO doit se faire lorsque l’alimentation n’est plus suffisante pour pallier au risque de dénutrition. Des conseils alimentaires sont donc donnés en première intention pour enrichir l’alimentation et apporter davantage de calories et de protéines. Les apports protéiques recommandés sont :
- Chez la personne âgée : de 1 à 1,2 g/kg/j ;
- Chez la personne dénutrie : de 1,2 à 1,5 g/kg/j.
Les sources de protéines sont présentes dans la viande et le poisson, les produits laitiers et les œufs. Il est conseillé de prendre quotidiennement :
- Des produits laitiers à chaque repas (yaourt, fromage blanc, faisselle…) ;
- Une portion de 120 grammes de viande ou poisson 1 à 2 fois par jour ;
- Des œufs (jusqu’à 5 à 7 par semaine) ;
- Des légumes cuits, mixés si besoin, à chaque repas. Selon la tolérance digestive, les crudités et les salades peuvent être apportées ;
- Des glucides complexes : pâtes, riz, semoule, pommes de terre à chaque repas ;
- 3 fruits lavés et épluchés ou en compote ;
- De l’huile (olive et/ou colza).
Les plats (soupes, potages, purées, pâtes, pommes de terre…) peuvent aussi être enrichis grâce à l’incorporation de poudre de lait, de lait entier concentré, de poudre de protéines, de fromage râpé et de jaune d’œuf, ce qui est à préconiser en cas de situation d’hypercatabolisme (états inflammatoires liés aux cancers, infection, escarres…). L’incorporation d’huile, de beurre fondu ou de crème fraîche permettra d’augmenter l’apport calorique.
Attention, qui dit enrichissement ne dit pas de sucrer à tout va, d’autant plus que l’appétence vers le sucré augmente avec l’âge. Le grignotage ou l’ingestion de produits sucrés peu de temps ou en début de repas risquent de couper l’appétit. Il convient mieux de fractionner les prises alimentaires (3 repas et 2 collations à heure fixe) et de finir le repas avec un produit sucré.
Enfin, l’apport hydrique doit être suffisant. Il faut donc boire au-delà de la sensation de soif. L’eau plate est à privilégier (1,5 litre par jour).
Appréhender les troubles digestifs
Pour limiter les risques de nausées et de vomissements, les aliments très odorants, épicés, frits ou gras sont à limiter au profit d’aliments faciles à digérer (purée de pommes de terre, potages, pâtes) et tièdes. L’alimentation et l’hydratation doivent être fractionnées en plusieurs prises afin de faciliter la digestion.
Les eaux gazeuses peuvent être bénéfiques, prises en dehors des repas et bien fraîches. Si possible, le patient doit aussi rester debout ou assis au moins 30 minutes après le repas pour éviter tout risque de reflux. L’application de quelques gouttes d’huile essentielle de menthe poivrée (Mentha piperita) sur un mouchoir peut améliorer l’inconfort.
En cas de goût métallique dans la bouche, il est conseillé d’éviter la consommation de viande rouge ainsi que de réduire les fruits et légumes frais au profit de compotes et purées de légumes. Les poissons cuits à la vapeur, les œufs cuits, les produits laitiers et les féculents sont à privilégier. L’appétit pouvant être entravé, il faut laisser le patient manger ce qui lui fait envie, en petites quantités et en fractionné.
En cas de diarrhée, le patient doit s’hydrater de façon suffisante, jusqu’à 2 litres d’apport, avec de l’eau, du thé, du bouillon, pour empêcher une déshydratation. Pendant quelques jours, les aliments riches en féculents comme le riz, les pâtes, les pommes de terre ainsi certains fruits et légumes (carottes, bananes) sont à privilégier. Les laitages ainsi que les fruits et légumes crus et secs sont à éviter transitoirement.
À l’inverse, en cas de constipation, l’alimentation doit être riche en fibres (fruits, légumes, pain, pâtes et graines complètes, eau riche en magnésium).
Contre les troubles de la déglutition
Les traitements contre le cancer peuvent entraîner l’apparition de mucite ou de stomatites douloureuses entravant la prise alimentaire. En outre, avec l’âge peuvent survenir des problèmes dentaires et/ou des troubles de la déglutition. En plus d’une hygiène buccale irréprochable, une alimentation pâteuse, mixée ou hachée et fractionnée est indispensable. Les aliments connus pour être à l’origine d’aphtes sont quant à eux à proscrire : noix, ananas, gruyère, épices et alcool ainsi que les crudités, les fruits frais, les aliments trop acides, trop durs ou trop secs. Les aliments doivent être ni trop chauds, ni trop épicés, ni trop salés, ni irritants (éviter le jus de citron, le vinaigre). Les eaux riches en bicarbonates sont à conseiller pendant le repas pour ramollir la texture des aliments. Enfin, le patient peut sucer des glaçons, de la glace pilée, des glaces à l'eau, des sorbets ou des bonbons à la menthe afin de limiter la sécheresse buccale.
Les produits à l’officine
Les compléments nutritionnels oraux sont des denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales (DADFMS). Leurs indications, compositions, conditions de prescription, de délivrance et de remboursement sont encadrées par un arrêté́ modifié en mai 2019. Il s’agit de mélanges nutritifs, administrables par voie orale, généralement hyperénergétiques et/ou hyperprotidiques, de goûts et de textures variées. Leur indication principale est de répondre à̀ des besoins nutritionnels particuliers : dénutrition et/ou pathologie métabolique spécifique.
Ils ont montré un intérêt en cas de cancer, d’insuffisance rénale, d’insuffisance respiratoire, de mucoviscidose, d’infection par le VIH, et de maladies neuromusculaires. En revanche, les régimes amaigrissants et une alimentation hyperprotéinée chez le sportif ne constituent pas une prise en charge. Ils sont généralement prescrits de façon transitoire lorsque l’apport alimentaire est insuffisant. Ils sont contre-indiqués en cas de non-fonctionnalité́ du tube digestif et de trouble de la conscience.
Il est conseillé de varier les textures et les d’adapter au goût du patient afin d’éviter la lassitude. Les CNO se présentent sous forme de liquide (yaourt à boire), crème, plat mixé, poudre de protéines, jus de fruit, compote, biscuits, gâteaux, pains briochés, potages, céréales. Les CNO à texture liquide sont contre-indiqués en cas de troubles de la déglutition au profit des crèmes et potages épais.
Teneurs en calories et protéines
Les CNO sont des produits de faible volume, avec une densité́ en énergie élevée, généralement comprise entre 1,5 et 2,4 kcal/ml. Cette valeur varie selon le type de CNO.
Une boisson lactée hypercalorique, hyperprotidique, composée d’un mélange de glucides, lipides et protéines, apporte 300 à̀ 480 kcal et 18 à 29 g de protéines par unité́ de 200 ml.
En revanche, un jus de fruits hypercalorique hyperprotidique de 200 ml apporte 200 à̀ 300 kcal et seulement 8 g de protéines par unité́. Ces derniers seront à proposer en complément des autres CNO ou en cas d’alcoolisme chronique afin de faciliter l’observance.
18 à 29 g, c’est l’apport protéique d’une boisson lactée hypercalorique hyperprotéique de 200 ml
Pour les personnes âgées, sauf exceptions, l’objectif est d’atteindre un apport alimentaire supplémentaire de 400 kcal par jour et/ou 30 g de protéines par jour.
Règles de prescription et de délivrance des CNO
Première prescription : réalisée pour 1 mois.
Première dispensation : limitée à 10 jours.
À l’issue de cette période, le pharmacien évalue l’observance avec le patient, adapte si nécessaire dans les limites des quantités prévues par le prescripteur et délivre le complément.
Renouvellements : réalisés pour 3 mois maximum.
Par ailleurs, dans la convention médicale signée en 2024 avec l’assurance-maladie, les médecins se sont engagés à diminuer de 5 % les volumes de prescriptions de CNO d’ici 2027.
Enfin, le Comité économique des produits de santé (CEPS) prévoit des baisses de prix (prix de cession et prix limites de vente) sur les CNO en deux temps : au 15 mars 2025 puis au 15 mars 2026.
Agrémentation
Ces produits se consomment à distance des repas, 2 heures avant ou après, en plusieurs prises réparties dans la journée
Les goûts sont variés : sucres, salés ou sans arôme (neutres). En cas de dysgueusie, des CNO contenant des dérivés du menthol générant une sensation de fraîcheur, ou des dérivés de la capsaïcine provoquant une sensation de chaleur sont à conseiller en priorité. L’arôme neutre est à privilégier en cas de goût métallique ou ferreux parfois décrit chez les patients. Les produits au goût neutre présentent l’avantage d’être incorporé dans les préparations culinaires, chaudes ou froides, comme les poudres de protéines.
Pour faciliter l’observance, les produits, conservés à température ambiante, peuvent aussi être réchauffés ou congelés. Ainsi, les yaourts à boire peuvent être réchauffés dans une casserole ou dans un bol à placer dans un micro-onde. Mixés avec des fruits, ils peuvent faire office de smoothie ou milk-shake. Quant aux crèmes, elles peuvent être mises au congélateur afin de les consommer comme dessert glacé. Pendant la saison estivale, les jus de fruits peuvent être conservés au réfrigérateur pour un effet rafraîchissant, assaisonnés de menthe, de miel ou des fruits frais.
Tous ces produits sont à consommer de préférence à distance des repas, 2 heures avant ou après, en plusieurs prises réparties dans la journée.
Le diététicien pour ajuster l’utilisation
Dans la pratique quotidienne, la prescription sur le long terme des CNO peut parfois poser question. Voici l’avis de Lou-Ann Cousseau, diététicienne à Nantes (Loire-Atlantique).
« Il est certain que l'éducation nutritionnelle doit être une priorité chez les patients dénutris. Les diététiciens sont les seuls professionnels aptes à donner des conseils nutritionnels et, sur prescription médicale, à participer à l'éducation nutritionnelle des patients.
Dans le but d'améliorer la prise en charge des patients dénutris, le diététicien devrait intervenir en systématique surtout lorsque l'on connaît les conséquences d'une dénutrition. Dans la réalité ce n'est pas le cas… Il existe pourtant des réseaux comme Oncodiets ou Proxiligue vers lesquels les médecins pourraient diriger leurs patients. Le diététicien a aussi un rôle à jouer dans la réévaluation des apports oraux et de la prescription du CNO. Au même titre qu'un traitement, il est essentiel de s'assurer de la bonne observance du patient et de la reconduite si nécessaire de la prescription. »
Testez-vous
1. La dénutrition est :
a) Diagnostiquée uniquement chez les personnes âgées ;
b) Responsable de troubles de la déglutition ;
c) Un diagnostic médical ;
d) À l’origine d’une baisse de l’immunité.
2. L’enrichissement des aliments comprend :
a) L’incorporation de fromage râpé et de sucre ;
b) L’incorporation de crème fraîche et de fruits secs ;
c) L’incorporation de beurre fondu et de viennoiseries ;
d) L’incorporation de jaune d’œuf et de poudre de protéines.
3. Pour améliorer l’appétit des patients, il est conseillé de :
a) De limiter les aliments très odorants, gras et frits ;
b) De laisser le patient manger selon son envie ;
c) Fractionner l’alimentation en petits repas ;
d) Boire beaucoup lors des repas.
4. Les CNO :
a) Sont à donner en première intention en cas de début de dénutrition ;
b) Complètent une alimentation enrichie ;
c) Sont toujours hyperprotéinés ;
d) Peuvent être hypercaloriques et/ou hyperprotéinés.
Réponses : 1. c) et d) ; 2. d) : ; 3. a), b) et c) ; 4. b) et d).
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