Selon des chiffres donnés par Bastien Legrand, expert-comptable du réseau CGP (voir page 8), l’excédent brut d’exploitation (EBE), indicateur clé pour mesurer la rentabilité d’une officine, a plongé de 3,8 points en 2024. En moyenne, « les pharmaciens ont perdu 10 000 euros d’EBE en un an », résume Bastien Legrand. À cela s’ajoute l’augmentation des charges externes, celle des frais de personnel, la baisse des revenus liés aux honoraires de dispensation… Ces difficultés économiques sont particulièrement sensibles pour les pharmacies qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros par an. Ces dernières sont aujourd’hui les plus en danger. Pour preuve, 65 % des fermetures d’officines enregistrées en 2024 ont concerné cette catégorie de pharmacies, toujours selon des chiffres de CGP. La préservation du maillage pharmaceutique, en particulier dans les territoires ruraux, est aujourd’hui devenue le combat prioritaire de la profession mais aussi de l’assurance-maladie. « Nous avons un objectif : avoir zéro fermeture d’officine parmi les pharmacies qui sont les dernières de leur commune », expose Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de l’assurance-maladie. Un cap ambitieux que les aides de 20 000 euros sur trois ans qui seront allouées à des pharmacies installées dans les territoires fragiles (260 dans un premier temps) doivent notamment permettre d’atteindre. L’avenant 1 ne saurait toutefois se résumer à ce seul objectif. L’ensemble des mesures prévues dans le texte doit apporter 1 milliard d’euros au réseau officinal à l’horizon 2027. Cette somme suffira-t-elle ? Pour l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), qui a refusé de signer l’avenant, le compte n’y est pas et l’alerte est déjà lancée.
Faut-il déjà enterrer l’avenant 1 ?
Pour le syndicat présidé par Pierre-Olivier Variot, l’échec de l’avenant 1, qui n’a véritablement pris effet que 6 mois après sa signature (soit en janvier 2025), est déjà acté. Pour en arriver à ce constat radical, l’USPO s’appuie notamment sur les résultats d’un sondage dévoilé le 8 mars lors du salon PharmagoraPlus (voir page 7). Selon cette consultation, une écrasante majorité (97 %) des 3 100 pharmaciens interrogés estime que « les revalorisations prévues par l’avenant 1 pour améliorer la situation économique des officines sont insuffisantes, voire largement insuffisantes (55 % du panel) ».
Il faut que toutes les officines soient revalorisées, on ne se bat pas simplement pour quelques-unes
Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
Pour Pierre-Olivier Variot, il faut d’ores et déjà ouvrir de nouvelles négociations. « Donner 20 000 euros sur 3 ans à des pharmacies en difficulté ce n’est pas ça qui va faire apparaître un repreneur, tance-t-il. Il faut que toutes les officines soient revalorisées, on ne se bat pas simplement pour quelques-unes. Le combat n’est donc pas terminé », assure le président de l’USPO, qui va envoyer un courrier au ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder, pour le convaincre d’accepter l’idée d’un deuxième round de négociations. « On ne peut pas nous demander de faire toujours plus de missions sans nous donner les moyens suffisants. Les économies que permet le travail du pharmacien, sur la cystite par exemple, doivent être mieux partagées. L’assurance-maladie doit aussi nous aider à lutter contre toutes les tracasseries administratives qui nous pénalisent au quotidien », plaide le président de l’USPO.
Nous avons un objectif : avoir zéro fermeture d’officine parmi les pharmacies qui sont les dernières de leur commune
Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de l’assurance-maladie
Pour Marguerite Cazeneuve, l’idée de relancer un cycle de négociations semble cependant peu réaliste, voire dangereux. « Nous sommes tous acteurs d’un système de santé unique au monde, qui se trouve aujourd’hui en danger de mort. La branche maladie de la Sécurité sociale est dans une situation catastrophique. Je ne doute pas un instant des difficultés vécues par certaines officines aujourd’hui mais il faut tenir compte du contexte. Nous avons vécu une situation économique particulière et les pharmacies n’ont pas été les seules entreprises à avoir connu des difficultés », tient à rappeler la numéro 2 de la CNAM. Marguerite Cazeneuve tient surtout à défendre les avancées permises par cet avenant. « Nous avons gagné ce combat pour les biosimilaires, débloqué ces aides pour les pharmacies des territoires fragiles. Sur ce dernier point, je tiens à dire qu’il n’a jamais été question de subventionner tout le réseau officinal, cela n’aurait eu aucun sens. Il nous a fallu fabriquer quelque chose pour protéger ce maillage pharmaceutique extraordinaire que nous avons la chance d’avoir, en ciblant les pharmacies qui en avaient le plus besoin. Pour ne pas laisser des déserts se créer, comme cela a malheureusement été le cas avec les médecins. » La représentante de l’assurance-maladie appelle aujourd’hui les pharmaciens à se montrer patients, malgré les contraintes du présent. « Aucune profession de santé n’a montré davantage d’ambition de changer que les pharmaciens d’officine mais une telle transformation ne se fait pas en claquant des doigts. Nous sommes dans une politique des petits pas qui, j’en suis convaincue, est la bonne méthode », affirme Marguerite Cazeneuve.
En 2026, la situation économique des officines sera meilleure qu’aujourd’hui
Philippe Besset, président de la FSPF
Le tableau est-il aussi sombre que celui dépeint par Pierre-Olivier Variot ? Ce n’est pas l’opinion de Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), signataire de l’avenant et qui estime, lui, que le temps du bilan n’est pas arrivé. « Nous avons signé ce texte à 48 heures de la dissolution de l’Assemblée nationale. Si nous n’avions rien fait, nous aurions été bloqués pendant des mois et au vu des chiffres que nous avions alors il était urgent d’agir, défend-il. Quand je vois que les pharmacies ont perdu 10 000 euros d’EBE en un an je suis bien sûr consterné mais pas surpris. Ce qu’il faut voir cependant c’est que cet avenant nous offre une trajectoire pluriannuelle et cela, c’est une première. Je donne donc rendez-vous en juin 2026, soit un peu plus d’un an après l’entrée en application effective de l’avenant. En 2026, la situation des officines sera meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui », annonce Philippe Besset. Le président de la FSPF admet tout de même que de nombreuses batailles devront être menées dans les prochains mois pour que la santé économique des officines puisse s’améliorer. « Nous avons un combat à mener sur le dépistage, maintenant que les tests antigéniques pour le Covid-19 ne sont plus pris en charge. Les charges ont beaucoup augmenté, il faudra qu’elles soient restreintes en 2025. L’ordonnance numérique doit devenir la clé de notre système, notamment pour lutter plus efficacement contre les fraudes. Les biosimilaires vont se déployer. Les aides accordées aux pharmacies des territoires fragiles vont aussi nous permettre de les identifier, de travailler avec les maires des communes concernées, c’est tout un système à mettre en place… Nous allons donc avoir beaucoup de dossiers à gérer cette année », résume Philippe Besset, qui veut convaincre les pharmaciens de garder foi en l’avenir.
Les étudiants n’ont pas peur de l’exercice officinal
L’avenir de la profession repose également sur les étudiants en pharmacie. S’ils sont conscients des problématiques économiques vécues par les pharmaciens en exercice, eux veulent surtout alerter les décideurs sur l’importance d’adapter leur formation à la réalité du métier d’aujourd’hui. « En tant qu’étudiants, nous considérons qu’il est important de valoriser l’acte pharmaceutique, insiste Ilan Rakotondrainy, président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). Si l’on veut mettre en avant nos compétences cela doit aussi se faire en amont, au niveau de la formation », rappelle-t-il, alors que l’adoption de la réforme du troisième cycle des études de pharmacie (R3C) est encore retardée et ne sera certainement pas en place avant la rentrée 2026, au mieux. « Malgré tout ce que l’on peut entendre, l’exercice officinal ne fait pas peur aux étudiants, rassure le président de l’ANEPF. Au contraire, ce métier devient de plus en plus attractif. Comme l’ont montré les chiffres de notre Grand entretien 3.0, de plus en plus d’étudiants en pharmacie choisissent l’officine », souligne Ilan Rakotondrainy. Une amélioration de la situation économique des officines dans les années à venir ne pourrait donc que convaincre encore davantage d’étudiants de s’y engager.
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