Depuis des années, les pharmaciens effectuent un service gratuitement pour les Ehpad : la préparation des doses à administrer pour leurs résidents. Cet acte pourtant n’est ni encadré réglementairement ni rémunéré. Depuis le 10 septembre, les syndicats ont donné le mot d’ordre de dénoncer les contrats passés avec les Ehpad et d’alerter les ARS. Objectif : obtenir un encadrement sécurisé de cette acte.
La crise des remises aura remis un autre dossier sur la table : celui de la préparation des doses administrées (PDA) pour les résidents en EHPAD. Si le sujet est source d’insatisfaction depuis longtemps pour les pharmaciens d’officines qui l’exercent, il est devenu un casus belli dans le contexte économique de la baisse des remises de générique. « On ne s’en sortira pas sans remettre tout à plat, souligne Delphine Lienhardt, présidente de l’USPO Alsace qui a créé un collectif des pharmaciens d’officine engagés auprès des Ehpad d’Alsace. Jusqu’à présent, l’ARS ignore nos courriers et personne ne nous prend au sérieux. » Avec l’appel à la dénonciation des contrats signés entre les pharmaciens et les directions d’EHPAD, lancé par les syndicats, ni les agences régionales de santé (ARS), ni les directions d’établissements ne peuvent plus éviter le sujet.
20 % plus de génériques
Le nœud du conflit tient en deux maux : insécurité juridique et non rémunération. Pour simplifier l’administration des médicaments aux 600 000 résidents en EHPAD, des pharmaciens d’officines préparent chaque semaine un pilulier par résident et le livrent aux établissements. Pourtant, cet acte n’est ni autorisé, ni interdit. « Cette PDA n'est pas encadrée réglementairement, explique Philippe Besset, le président de la FSPF. Depuis plus de dix ans, la profession demande la mise en place d’un cahier des charges de bonnes pratiques pour cet acte. Ce que le ministère de la Santé se refuse à faire. Nous attendons toujours la publication de l’arrêté. Cela place les pharmaciens d’officine dans une insécurité juridique : en cas d’accident, leur responsabilité seule est engagée. »
Autre conséquence : en l’absence de cadre réglementaire, les pharmaciens réalisent cet acte gratuitement. « Assurer le suivi des ordonnances, respecter les normes de qualité, ouvrir toutes les boîtes de médicaments, les répartir dans des cases matin/midi/soir pour chaque patient, assurer la traçabilité, cela représente un travail chronophage. Ce n’est plus soutenable dans le modèle économique actuel », souligne Philippe Besset. En effet, cette activité a un coût pour les officines : les pharmaciens qui préparent les doses « ont des frais de personnel supérieurs à une activité normale, des frais de consommables (sachets, piluliers), des frais d’amortissement de la machine, des frais de transport, etc. », détaille Christophe Le Gall, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Or, « ces officines font 20 % de génériques de plus que les autres, elles vont être impactées non seulement par la baisse des remises génériques, mais aussi par la baisse des prix des génériques annoncée. Ce sera un deuxième coup dur qui risque de les achever », alerte-t-il.
Des frais de personnels exorbitants
Delphine Lienhardt, dans son officine alsacienne, a déjà tenté d’alerter l’ARS des conséquences que cela aurait sur le circuit du médicament. Sans réponse adéquate. Elle sert une résidence de 94 patients. Préparer les piluliers représente « 50 heures de travail par semaine », qu’elle assure avec sa préparatrice. « On peut croire que faire du volume de génériques est intéressant et permet d’obtenir les meilleures remises en passant au palier supérieur. C’était le cas, mais avant ! Avant qu’une préparatrice coûte 2000 euros par mois, que les ruptures imposent de faire un patchwork de génériques et que le gouvernement baisse les remises à 30 % et bientôt à 20 %. Les EHPAD ne se rendent pas compte des économies qu’ils font grâce à notre investissement. Il leur suffit de dénoncer notre contrat, pour trouver une autre pharmacie qui le fera gratuitement. Tout cela nous place dans une insécurité qui n’est plus tenable. Quand nous arrêterons de faire les piluliers à la couleur demandée, matin/midi/soir/nuit et que nous leur enverrons juste un sachet par résident comme il y a dix ans, ils comprendront la différence. »
Nous avons reçu des appels de sénateurs qui n’avaient aucune idée que l’on faisait cela gratuitement
Christophe Le Gall, président de l’UNPF
Avant d’en arriver à une grève de la PDA, la FSPF a demandé aux pharmaciens de dénoncer leurs contrats de fourniture de médicaments et d’en avertir les ARS par courrier. « Toutes les précautions sont prises pour ne pas impacter les patients, assure Alain Grollaud, président de Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies. C’est un dispositif contractuel, entre deux parties, donc à chacun de respecter les préavis et conditions prévues dans son propre contrat. » Certains ont déjà mis le processus en route, d’autres prévoient de le faire. « Il n’est pas question de ne pas livrer les EPHAD, on livrera des boîtes, et ce sera à eux de préparer les piluliers pour tous leurs résidents, ils verront ce que c’est de le faire gratuitement. » Certains EHPAD ont prévenu les familles des résidents qu’une « réorganisation du circuit du médicament » est à prévoir et que cela représente une charge de travail supplémentaire pour le personnel soignant. Plus de temps de préparation, plus de vérifications, moins de disponibilité pour les autres tâches, notamment l’accompagnement au quotidien.
Provoquer des négociations
Cette action des pharmaciens vise avant tout à mettre en lumière un service effectué « en catimini ». Premier effet, déjà noté, les politiques découvrent cette situation. « Nous avons reçu des appels de sénateurs qui n’avaient aucune idée que l’on faisait cela gratuitement », souligne Christophe Le Gall, qui exerce la PDA. « Cela devrait provoquer l’ouverture d’une période de négociation entre les pharmaciens et les EHPAD », explique Philippe Besset. Et qui dit négociation, dit tarif. Deux pistes sont évoquées : soit un tarif négocié librement entre pharmacie et direction d’EHPAD, soit un tarif réglementé national. La dernière aurait l’avantage de mettre toutes les pharmacies sur le même plan, tel que l’a préconisé le rapport Lancry, après une expérimentation en Basse-Normandie. « Il est indispensable que ce service soit rémunéré par les ARS à hauteur d’ un euro par jour et par patient, souligne Christophe Le Gall. Soit 200 millions d’euros. » Les enjeux sont élevés : la sécurisation du circuit du médicament et le maintien du maillage officinal.
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