Réuni pour son forum économique annuel à Berlin, le Syndicat des Pharmaciens allemands (DAV) y présente les chiffres clés de la profession, qui marquent cette année un « triste nouveau record » en matière de démographie : avec 16 908 pharmacies au 31 mars dernier, le pays compte désormais moins d'officines qu'en 1978, et a perdu, depuis ses records démographiques enregistrés au début des années 2000, plus de 20 % de ses pharmacies. On compte désormais 20 pharmacies pour 100 000 habitants, un tiers de moins qu'en France, contre 26 pour 100 000 en 2012. Les fermetures ne cessent de se multiplier et sont loin de se limiter aux petites pharmacies rurales ou isolées, certes les plus touchées ; les officines uniques ou principales, ainsi que les filiales de ces dernières, qui constituent un peu moins du tiers du réseau, sont nombreuses à tirer le rideau, que ce soit pour des raisons financières ou, de plus en plus souvent, par manque de successeur.
Stagnation de l’honoraire
Les pharmaciens sont confrontés à une augmentation parfois intenable de leurs coûts et de leurs frais de fonctionnement, alors que leur honoraire fixé à 8,35 euros par boîte, est gelé depuis 2012. Le chiffre d'affaires moyen se monte à 3,7 millions d'euros, pour un résultat d'exploitation de 162 000 euros, sachant que 62 % des officines n'atteignent pas cette moyenne. Les augmentations du chiffre d'affaires sont liées uniquement, cette année, à la forte augmentation des prix et, en matière de résultat, à l'échéance d'une taxe provisoire sur les ventes, destinée à réduire les dépenses des caisses de maladie.
La nouvelle coalition a promis de faire passer l’honoraire à 9,50 euros, ce qui permettra à peine aux pharmaciens de faire face à la hausse prévisible des salaires de leur personnel, sachant que le salaire brut minimum qui atteindra 15 euros de l'heure à partir de 2026 absorbera à lui seul 80 % de la hausse promise. Elle s'est engagée aussi à autoriser à nouveau les rabais consentis par les grossistes aux officines, qui avaient été interdits il y a quelques années.
Dans l'immédiat, les pharmaciens se félicitent du départ du ministre de la santé Karl Lauterbach, très impopulaire et clairement antipharmaciens. « Il a affaibli la pharmacie d'officine », jugent sans concession les organisations professionnelles. Fin 2023, il avait annoncé la mise en place de « pharmacies sans pharmaciens » reliées en ligne à des pharmacies principales chargées de les coordonner. Un projet qui s'était traduit par des grèves massives dans la profession, et qui est aujourd'hui officiellement enterré.
Soutien aux pharmacies rurales
Il n'en reste pas moins que si la nouvelle ministre de la santé, la conservatrice Nina Warken, a été chaleureusement accueillie par la profession bien qu'elle soit totalement extérieure au monde de la santé, les pharmaciens la jugeront sur ses actes. Elle vient d'annoncer devant le Bundestag sa volonté de soutenir et de renforcer le réseau des pharmacies d'officine, mais entend aussi, plus globalement, assainir drastiquement le déficit de 10 milliards d'euros accusé cette année par l'assurance maladie, chiffre qui peut paraître raisonnable en France mais est jugé intolérable Outre-Rhin… Les pharmaciens ont une carte à jouer dans l'évolution du système de santé mais, déjà échaudés par le passé, ils attendent d'abord la tenue rapide des engagements pris sur l'augmentation de leur honoraire.
De plus, les pharmaciens négocient avec l'assurance maladie un honoraire complémentaire pour les petites pharmacies rurales qui, comme en France, sont particulièrement vulnérables. Elles devraient bénéficier d'une « prime » d'un 1,50 euro supplémentaire par boîte délivrée. Comme l'a rappelé le président du DAV, Hans- Peter Hubmann, les honoraires des pharmaciens ne représentent que 1,8 % du total des dépenses de l'assurance maladie (les médicaments prescrits en constituant 12, 7 %) alors que les pharmaciens offrent des services indispensables et pourraient encore décharger le système de santé de nombreuses tâches si leurs nouvelles missions s'élargissaient.
Les médecins font de la résistance
C'est d'ailleurs dans cet objectif que le syndicat va proposer d'autoriser les pharmaciens, comme c'est déjà le cas dans plusieurs pays européens, à prescrire eux-mêmes quelques médicaments contre différentes affections sans gravité mais réclamant jusque-là une ordonnance établie par un médecin. Cette mesure ferait gagner du temps aux patients tout en déchargeant les médecins. Toutefois, elle doit encore être acceptée par ces derniers, ce qui est pour le moment loin d'être le cas. Organisé lors du forum, un débat assez vif entre les représentants des deux professions a rappelé la profondeur de leurs divergences sur ce thème. Les médecins rejettent toute délégation de prescriptions aux pharmaciens, au nom de la « responsabilité » et du « chacun son métier », mais proposent de développer les plateformes téléphoniques d'accueil pour améliorer leurs services d'urgence ambulatoire. Finalement, les deux professions ne s'accordent que sur un point, il faut améliorer leur coordination et leur complémentarité…
Flambée sur Internet des ventes de médicaments sur prescription
Autorisées en Allemagne depuis une vingtaine d'années mais longtemps restées insignifiantes, les ventes en ligne de médicaments sur prescription ont connu une très forte progression en 2024, encouragées, comme s'y attendaient les pharmaciens, par la généralisation des ordonnances électroniques.
La mise en place obligatoire de l’ordonnance numérique s'est d'ailleurs « plutôt bien passée » de l’avis des représentants des pharmaciens. C’est maintenant au tour du dossier patient électronique de se déployer dans le pays, qui rattrape ainsi, à marche forcée, les retards considérables qu'il accusait dans le domaine de la santé numérique par rapport à la plupart de ses voisins. Ces évolutions rebattent les cartes dans le monde particulièrement concurrentiel des pharmacies en ligne, qui rivalisent de nouvelles inventions, parfois à la limite de la légalité, pour tenter d'élargir leur marché.
Les prescriptions vendues en ligne en Allemagne par des plateformes situées principalement aux Pays Bas, où le prix unique n'existe pas, ont augmenté de 60 % entre 2023 et 2024, pour atteindre désormais 1,35 % du total des prescriptions remboursables. Le grand bénéficiaire en est la plateforme Shop Apotheke, qui dépasse largement son principal concurrent Doc Morris. Pourtant, ces pharmacies en ligne continuent d'afficher des pertes importantes. En effet, et ceci sauve les pharmaciens classiques, elles ne peuvent fonctionner qu'au prix de dépenses de marketing et de communication considérables, qui absorbent ainsi une grande part de leurs bénéfices. Les campagnes particulièrement agressives de Shop Apotheke, qui n'hésite pas à afficher des publicités tape à l'œil sur des panneaux ou des abribus situés juste devant les pharmacies, lui valent une hostilité croissante des officinaux, qui cherchent à se défendre avec plus ou moins d'efficacité.
La menace des rabais
Les pharmacies en ligne rivalisent de nouvelles tentatives pour pratiquer des rabais sur les prescriptions, toujours interdits en Allemagne, en contournant la loi. Deux nouvelles affaires portant sur les « cadeaux de bienvenue » de Doc Morris, payables en bons d'achat, seront jugées en juillet par le Tribunal fédéral allemand. Elles inquiètent les pharmaciens car elles pourraient relancer la question du prix unique des prescriptions, certes ancré dans le droit européen depuis 2016. En effet, la plateforme hollandaise pourrait cette fois obtenir gain de cause car elle a modifié sa stratégie juridique. Les pharmaciens rappellent que « si ces bons sont autorisés, c'est toute la législation interdisant les rabais qui risque à terme de suivre… ».
À l’inverse, les pharmaciens et les plateformes d'OTC adossées à Amazon viennent d'enregistrer une déconvenue, suite aux plaintes systématique lancées par un pharmacien indépendant contre eux : il a estimé qu'Amazon n'étant pas une pharmacie, le fait que les acheteurs doivent indiquer leurs coordonnées et que ces dernières puissent être traitées par du personnel non pharmaceutique violait la réglementation sur la confidentialité, et le tribunal de Munich lui a donné raison. En attendant, les ventes en ligne d'OTC ont renoué avec la croissance, et ont représenté en 2024 23 % des ventes de ce segment, rognant d'autant celles des officines.
D. D. B.
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