Les autorités de santé se sont emparées du thème du bon usage du médicament, mais un peu en ordre dispersé et sans véritable stratégie. « Comment bâtir une politique de santé publique, comment travailler efficacement avec les patients et les professionnels, si on ne peut pas bien appréhender les causes et les déterminants, évaluer les risques, cibler et mesurer l’impact des actions engagées ? », s’est demandé l’association Bon usage du médicament (ABUM), lors de son forum qui s’est tenu le 18 juin au ministère de la Santé. La réponse est dans les données.
Big data
Pour améliorer le bon usage du médicament, il faut déjà mesurer l’écart entre la pratique en vie réelle et le référentiel de bonnes pratiques. Et pour cela, il est indispensable de récolter des données fiables et pertinentes, au niveau national comme au niveau local, ainsi que des bases comparatives. Les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), les Omédit (observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques) ou encore l’assurance-maladie sont des gros fournisseurs de données, qui nourrissent déjà le Système national des données de santé (SNDS), des organismes comme le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare ou encore la plateforme nationale des données de santé (Health Data Hub). Sans compter les informations dormantes détenues par les professionnels de santé dans leurs logiciels métiers. « Sur la délivrance, on a énormément de données, mais elles sont sous-exploitées », constate Alexandre Vainchtock, directeur général adjoint de HEVA-filiale de Docaposte. Les pharmaciens disposent aussi d’une arme : l’intervention pharmaceutique. « Les interventions pharmaceutiques sont déjà cartographiées depuis des années avec la plateforme ActIP de la Société française de pharmacie clinique (SFPC). Il y a un observatoire et on a toute une structure potentielle pour obtenir des données réelles d’utilisation du médicament, du bon ou du mauvais usage », ajoute Stéphane Honoré, responsable Omédit PACA-Corse.
Mais des données, il en manque encore. Il n’y a pas de bases françaises sur l’utilisation en vie réelle des médicaments, y compris hors AMM, excepté au CHU de Bordeaux. « Les effets indésirables notifiés dans le RCP résultent des effets du médicament dans le cadre de ses indications. Donc si les gens font n’importe quoi avec des médicaments et que cela génère des effets indésirables, ils ne seront jamais notifiés dans le RCP sauf cas très exceptionnels », rapporte Milou-Daniel Drici, directeur du CRPV de Nice-Alpes-Côte d’Azur. Il y a un vide aussi sur l’automédication. « On ne comptabilise pas ces médicaments qui ne sont pas remboursés. On ne comptabilise pas non plus les médicaments qui restent dans l’armoire à pharmacie », ajoute Béatrice Van Oost, médecin experte en santé publique à la CNAM.
Plus surprenant, « il manque des informations très importantes. Dans le SNDS, on peut avoir des informations de la naissance jusqu’à la mort mais rien sur le tabac, l’alcool, la taille et le poids, et le métier exercé. Ce n’est plus entendable ! », déplore Mahmoud Zureik, professeur en épidémiologie et directeur de Epi-Phare. « Une difficulté, c’est le chaînage, pointe encore la représentante de la CNAM. Reconstituer le parcours patient est difficile. »
Pas d’argent
Les données sont malgré tout nombreuses, mais il faut les cartographier et trouver des indicateurs de mesure et de suivi. Pourquoi pas « le nombre de morts et d’hospitalisations, associé aux économies réalisées par le bon usage », suggère en clôture de séance le président de l’ABUM, Éric Baseilhac. Selon l’étude Iatrostat menée par les CRPV et dont les résultats ont été publiés en 2022, 8,5 % des hospitalisations sont dues à des effets indésirables médicamenteux, ce qui représente 212 500 hospitalisations par an dont 35 000 sont évitables. Et un coût de plus 1,3 milliard d’euros pour la solidarité nationale.
« La donnée est là, répète Antoine Dupuis, président de la SFPC. Il faut la digérer et l’orienter, on a des outils pour cela, notamment les LGO. Mais il faut des moyens. » Le mot est lâché.
Il manque donc surtout des moyens financiers. « Les moyens ne sont pas mis. Les données sont sous-exploitées. Elles ne sont pas disponibles tout de suite. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une question d’argent. Car quand vous donnez votre carte Vitale, la donnée est télétransmise, le pharmacien est remboursé dans les 2 jours, le patient dans les 3 jours. Cela veut dire que ça marche. Après, ce n’est que de la machinerie », résume Denis Raynaud, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de santé (IRDES).
Bon usage : et le patient dans tout ça ?
Le patient est celui qui, finalement, a tous les éléments sur le bon usage du médicament. Peut-on lui demander d’être responsable ? Réponse cinglante du représentant des patients, Gérard Raymond, président de France Assos Santé : « Il faut acculturer l’ensemble de la population à ce système de santé qui n’existe pas encore : celui basé sur l’éducation à la santé. Mais ça va prendre du temps. On nous a tellement laissés dans l’ignorance en nous promettant qu’on avait le meilleur système de santé qui allait nous guérir gratuitement. »
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