Pourvu qu'ils exercent en nom propre, les pharmaciens vont désormais se retrouver sous la bannière unique des « travailleurs indépendants ». Au même titre que les autres professions médicales, mais aussi des artisans et des commerçants. Ce statut est prévu par un projet de loi adopté le 8 février par le Sénat et l'Assemblée nationale et se veut plus protecteur. En effet, la mesure phare de ce texte est d'opérer une stricte distinction entre le patrimoine personnel et professionnel du dirigeant d'entreprise en nom propre.
En un mot, les biens personnels seront insaisissables en cas de faillite, contrairement à la situation actuelle qui veut que seule la résidence principale soit protégée. Et encore. Comme le relèvent les experts-comptables (voir ci-dessous) et le rapporteur du texte au Sénat, Christophe-André Frassa (LR), « les créanciers les plus importants, notamment les banques, continueront d’exiger des sûretés spéciales sur certains biens de l’entrepreneur, y compris ses biens personnels ». L'appel du ministre des Petites et moyennes entreprises, Jean-Baptiste Lemoyne, aux établissements bancaires de « prendre toute responsabilité dans la mise en œuvre de cette réforme » sera-t-il entendu ?
Moins d'un pharmacien sur cinq concerné
Pour l'heure, l'Union nationale des associations de professions libérales (UNAPL) salue l'adoption de cette loi en faveur de l’activité indépendante et se réjouit qu'à sa demande la situation particulière des professions libérales ait été prise en compte par le législateur. En dérogeant au principe juridique de l’unicité des patrimoines, ce texte répond à une demande de longue date des professions libérales. Car la dissociation des biens personnels et professionnels concerne 85 % des professionnels libéraux qui exercent en nom propre, rappelle Michel Picon, président de l'UNAPL.
À l'échelle de la pharmacie d'officine, cependant, la portée de cette disposition est moindre puisque moins d'un pharmacien sur cinq (19 %*) exerce aujourd'hui en nom propre. Selon les statistiques de l'Ordre, ce statut concernait 3 597 titulaires en 2020, tandis que 16 937 de leurs confrères avaient opté pour l'association. Comme le souligne l'instance ordinale, leur nombre tend à se réduire au profit de l'exploitation en association qui a fait un bond de 53 % entre 2008 et 2020. De plus, la dissociation entre les patrimoines peut certes rassurer les titulaires concernés, mais la majorité d'entre eux n'est toutefois plus exposée à un risque de faillite. Comme l'observent les experts-comptables, la plupart de ces titulaires sont aujourd'hui désendettés. Rien ne garantit par ailleurs que l'exercice en nom propre, sous ces nouvelles conditions, parvienne à séduire les futurs installés.
Rester vigilant sur l'ouverture du capital
Cependant, pour la profession, ce projet de loi est tout sauf un non-événement. Car son article 7 habilite le gouvernement à réformer par voie d’ordonnance le régime des sociétés d’exercice libéral (SEL). Dans un souci de clarifier, simplifier et mettre en cohérence les différentes règles relatives aux professions libérales, l'exécutif se réserve en effet le droit d'adapter « les différents régimes juridiques leur permettant d’exercer sous forme de société » et de faciliter « le développement et le financement des structures d’exercice des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, à l’exclusion de toute ouverture supplémentaire à des tiers extérieurs à ces professions du capital et des droits de vote ».
Une dernière disposition sur laquelle les représentants de la profession, Ordre et syndicats, seront extrêmement vigilants. Ils sont d'ailleurs bien décidés à poser, dès à présent, des garde-fous en participant avec la Direction générale des entreprises (DGE) aux travaux préliminaires de la rédaction de cette ordonnance. Pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), il s'agit d'observer la plus grande vigilance sur le sort qui pourrait potentiellement être réservé à l'ouverture des capitaux. « Nous travaillons sur le projet d'ordonnance qui devrait être transmis au Conseil d'État le 30 mars. Il est fondamental pour nous de garantir l'indépendance du pharmacien et de pas aller au-delà de ce qui existe concernant l'ouverture des capitaux », met en garde Philippe Besset, son président. Pour l'heure, aucun sujet d'inquiétude n’apparaît dans le texte. Ni même dans les intentions des pouvoirs publics. Il n'empêche. Pierre Fernandez, directeur général du syndicat, assure que la FSPF veillera scrupuleusement « à la préservation des fondamentaux de l'officine et à ce que le principe d'indivisibilité de l’exploitation de l’officine et de sa propriété soit perpétué ». « L’habilitation législative confiée au gouvernement lui donne la possibilité d'intervenir, par voie d'ordonnance, dans le champ de la détention du capital », analyse le juriste, rappelant que la FSPF avait demandé aux parlementaires d'exclure cette disposition du projet de loi. Le syndicat est formel, les règles de détention actuelles du capital doivent être préservées et chaque profession doit continuer à disposer, dans le cadre d’un décret d'application pris profession par profession, du droit de s’organiser comme elle l’entend.
*Sources CNOP https://bit.ly/3B9MWzo