En quelques semaines, Donald Trump a semé le chaos sur la santé mondiale. Les agences scientifiques et de santé américaines sont touchées par des licenciements massifs : 1 200 personnes au National Institutes of Health (NIH), 1 300 dans les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), soit 10 % de leurs effectifs, quasiment tout le personnel de l’agence du développement USAID (1 600 employés). Les bases de données ont été expurgées des publications utilisant des mots tels que « diversité », « minorité » ou « genre ». Les scientifiques des CDC ont reçu interdiction de communiquer avec l’Organisation mondiale de la Santé, dont les États-Unis se retirent alors qu’ils en sont le principal financeur. À cela s’ajoute le gel de 83 % du financement des programmes de l’USAID à l’étranger, bien que la Cour suprême se soit prononcée pour le déblocage de 2 millions de dollars dus notamment à ONUSIDA. Quelles sont les conséquences pour la santé mondiale ?
À travers USAID, l’OMS, le Fonds mondial, les programmes bilatéraux, etc., les États-Unis financent 42 % de l’aide au développement en matière de santé dans le monde, avec 12,4 milliards de dollars en 2023. Le gel des financements de l’USAID et le retrait de l’OMS pourraient avoir un effet désastreux dans les pays privés des moyens de contrôle des épidémies sur leur territoire, alors que 42 urgences sanitaires sont en cours pour le choléra, le virus de Marburg, la variole du singe, Ebola…
« Comment allons-nous gérer les futures pandémies, parce qu’il y en aura, s’il n’y a plus d’institution qui offre un espace de discussion globale ? interroge le professeur Emmanuel Rusch, médecin de santé publique au CHU de Tours et enseignant chercheur à l’université de Tours. L’OMS, bien qu’elle connaisse comme toute institution des défauts, est l’unique organisation capable de coordonner une réponse sanitaire mondiale face à une crise. Sans elle, la réaction à une future pandémie risque d'être chaotique et fragmentée. »
Le risque est de ne pas détecter une épidémie en cours.
Dominique Costagliola
Un moindre recours aux vaccins, qu’il soit dû au scepticisme des autorités américaines ou à un manque de moyens, augmente le risque épidémique. Lorsqu’un pays peine à assurer ses actions de prévention, le pathogène ne se soucie pas des frontières. « Il y a quelques décennies, les épidémies de rougeole que la Suisse n’arrivait pas à contrôler se propageaient très rapidement en France », rappelle le professeur Rusch. Cette maladie, éradiquée aux États-Unis en 2000, fait son retour sur le territoire américain où elle a été contractée par 164 enfants dans 9 États (au 6 mars 2025).
Par ailleurs, les interdictions de communication, par exemple sur l’évolution de la grippe aviaire, inquiètent Dominique Costagliola, directrice de recherches à l'institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique (IPLESP) : « Sans données de surveillance fines et en temps réel, impossible d’apporter une réponse rapide et proportionnée. Le risque est de ne pas détecter une épidémie en cours et de la laisser se propager. »
Vers une explosion du VIH dans le monde ?
Les États-Unis financent les deux tiers de la prévention mondiale du VIH. « Couper les financements est totalement irresponsable. 25 millions des personnes dépendent de l’aide américaine pour avoir accès à des traitements antirétroviraux, s’inquiète Florence Thune, directrice générale du Sidaction. Une part conséquente des programmes de prévention en Afrique est consacrée à la prévention du VIH. Soigner un patient c’est agir sur la propagation de l’épidémie. Sans antirétroviraux ou même sans préservatifs, les contaminations vont repartir à la hausse. De plus, des souches sont déjà résistantes à certains traitements, nous ne sommes pas à l’abri que s’en développe de nouvelles. » Quant à l’objectif d’éradiquer le virus en 2030, déjà en mauvaise voie, sans l’aide américaine, il devient « carrément impossible ».
500 000 décès supplémentaires pourraient avoir lieu à la suite d’une interruption de l’accès aux traitements du VIH
Une étude prospective sud-africaine a estimé que 500 000 décès supplémentaires pourraient avoir lieu à la suite d’une interruption de l’accès aux traitements. « Un arrêt des financements durant 3 mois pourrait, en Afrique subsaharienne, entraîner 100 000 morts et 150 000 transmissions de la mère à l’enfant supplémentaires. Les conséquences de cette décision politique seraient dévastatrices », s’inquiète Dominique Costagliola.
La santé mondiale entre dans une période d'incertitude. « Reste à voir si d'autres acteurs prendront le relais, ce qui est peu probable du côté des Européens, ou si nous devons nous préparer au retour des grandes épidémies, souligne Emmanuel Rusch. Quoi qu’il en soit, la communauté internationale devrait repenser en profondeur les mécanismes de vigilance et d’alerte. »
Vers la fin du financement public de la recherche américaine ?
Le 7 mars, des milliers d’Américains ont manifesté, de Washington à Atlanta, pour défendre la science avec le mouvement Stand Up for Science. Parmi eux, nombre de jeunes chercheurs perdus et inquiets. En faisant passer de plus de 60 % à 15 % les coûts indirects accordés aux laboratoires pour le fonctionnement et le personnel, le NIH prive les universités de 4 milliards de dollars. L’université de Duke pourrait ainsi perdre 580 millions de dollars, qui financent notamment la recherche contre le cancer. Il s’agit « d’une menace existentielle pour nos universités et l’éducation supérieure », prévient le président de l’université de Pennsylvanie qui risque de perdre 250 millions de dollars. Résultat : elles ont réduit les admissions et suspendu leurs recrutements. 50 sociétés scientifiques, rassemblées au sein d’Union of Concerned Scientists (UCS), ont exhorté les membres du Congrès à protéger la recherche publique.
En France, après la mobilisation solidaire de chercheurs français, dont Françoise Barré-Sinoussi, Jean-François Delfraissy, ou Yasmine Belkaid, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a indiqué le 9 mars être prêt à accueillir « un certain nombre de chercheurs américains reconnus » et a demandé des pistes concrètes à l’Agence nationale de la recherche, au CNRS, à l’Inserm… Une opportunité pour la France de renforcer sa place au sein de la recherche mondiale ?
Produits pharmaceutiques, la nouvelle guerre commerciale ?
Le 2 avril, Donald Trump pourrait annoncer 25 % de taxes douanières sur les importations de produits pharmaceutiques en provenance de l’Europe. Objectif : réduire la dépendance des États-Unis aux médicaments et vaccins étrangers qui représentent 246,8 milliards de dollars en 2024 (+21 %). Le deuxième poste du déficit commercial américain, derrière l’automobile. Une guerre commerciale sur les médicaments serait une première. Ils sont, en effet, exclus des barrières douanières depuis un accord passé en 1994 au sein de l’Organisation mondiale du travail (OMS), reconnaissant le caractère « essentiel » des médicaments. D’où une certaine incrédulité européenne, à commencer par l’Irlande où les laboratoires américains profitent d’une fiscalité basse. De telles taxes feraient grimper les prix pour le patient américain.
Le premier objectif de Trump serait de « forcer les laboratoires pharmaceutiques à produire directement sur le sol américain », explique l’économiste de la Santé, spécialisé dans les politiques publiques, Thomas Rapp. Selon la FDA, la moitié des 10 508 sites de production de médicaments vendus aux Etats-Unis sont à l’étranger. En Chine et en Inde, mais aussi en Europe. En février, Donald Trump a mis la pression sur les “big pharma”. Le groupe Eli Lilly, producteur du Munjaro, a ainsi annoncé construire quatre sites de production, doublant ses investissements sur le territoire. De son côté, Novo Nordisk, le leader norvégien des analogues de GLP-1, construit un centre de production en Caroline du Nord. Sanofi, troisième exportateur européen, dispose déjà d’usines sur place.
La France ne serait pas le pays européen le plus exposé si Trump mettait ses menaces à exécution. « 62 % des exportations de médicaments se font en direction de ses partenaires européens, la Belgique et l’Allemagne en tête », explique Juliette Moisset, directrice de l’accès et des affaires économiques au Leem. Les États-Unis ne sont que le deuxième marché d’exportation « avec 11 % du total en valeur de l'ensemble des exportations pharmaceutiques françaises ». Les médicaments appartenant à la classe des hormonaux et stéroïdiens (sans antibiotiques) figurent en tête des produits envoyés vers les États-Unis.
L’objectif caché de Trump, cependant, pourrait être autre : mettre en place un rapport de force agressif pour négocier un prix des médicaments basé sur le plus bas pratiqué en Europe. « Le coût de la santé est une priorité des électeurs américains, ils paient le plus cher au sein de l’OCDE, 2 à 3 fois plus que les Européens, analyse Thomas Rapp. Lors de son premier mandat, Donald Trump a voulu imposer une clause de la nation la plus favorisée dans les négociations avec les industriels pharma, cela pourrait être son but final. De telles négociations réduiraient les marges de manœuvre des sociétés européennes pour négocier des prix aussi bas qu’aujourd’hui en Europe. »