Le Quotidien du pharmacien.- Quel est l’état d’esprit de vos confrères américains ?
Pr Alain Fischer.- Ils sont pris entre la sidération, la colère, le sentiment d’impuissance… La situation est extrêmement anxiogène pour les jeunes chercheurs car les grandes universités et centre de recherche ont mis leurs recrutements sur pause. Les chercheurs en recherche d’un laboratoire ne savent pas ce qu’ils vont devenir et ceux recrutés il y a moins d’un an ont été licenciés. Du jour au lendemain. Plus d’accès à son labo, son ordinateur, ses données. C’est brutal. De plus, ils ont peur de s’exprimer. Donald Trump a prévenu que s’ils manifestaient sur les campus, il les ferait arrêter et jeter en prison. Après un certain flottement, les chercheurs installés et les Prix Nobel s’organisent. Ils ont pris la parole vendredi 7 mars pour dénoncer les attaques contre la science, écrit des pétitions et des lettres aux élus. L’Académie nationale des sciences prévoit, de son côté, de s’exprimer en avril.
Comment expliquer cette attaque sur la science, un domaine qui contribue au rayonnement des États-Unis ?
Trump et son administration haïssent la fonction publique. Pour eux, c’est de la bureaucratie inutile, une gabegie des impôts des citoyens américains. Or, même dans un pays où la recherche privée et philanthropique est dynamique, la recherche publique joue un rôle majeur dans tous les domaines. Le NIH (National Institutes of Health), c’est 47 milliards de dollars de financement public, de très loin l’institution de recherche en épidémiologie et santé publique la plus financée au monde. Pour Trump, c’est le mal. Il vit dans un monde de vérités alternatives, propagées notamment par son ministre de la santé Robert Kennedy Jr. Ce dernier n’a recommandé la vaccination contre la rougeole comme « un choix personnel » qu’après le décès d’un enfant au Texas. C’est une approche ascientifique des problématiques sociétales et politiques, incompatible avec la démarche des scientifiques. À cela s’ajoute la détestation de la diversité et l’inclusivité. Or, les programmes universitaires appliquent des critères pour faire émerger des chercheurs issus des minorités ou des sujets liés aux minorités ou au genre.
Quel est le premier impact sur la recherche universitaire ?
Chaque fois qu’une université reçoit un contrat, une somme de 50 à 70 % du contrat est allouée pour frais indirects de fonctionnement, Trump impose de la réduire à 15 %. Toutes les universités seront impactées. Par exemple à Jackson Laboratory, qui fournit des souris génétiquement modifiées au monde entier, il n’est pas exclu que l’animalerie ne soit plus autant financée, avec un retentissement au-delà des frontières. Les universités ont porté le sujet devant la Justice, mais si c’est confirmé, ce sera un frein considérable aux activités de recherche aux États-Unis, y compris à des essais cliniques en cours.
Les projets contenant certains mots, comme « fœtus », « genre », « minorité », etc. ont été suspendus. Qu’est-ce que cela implique ?
Cela conduit à des situations d’une absurdité totale. Par exemple, si un chercheur veut étudier le lupus pour comprendre pourquoi il est 9 fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, ce projet sera retoqué car il concerne la diversité homme-femme. Si je veux comparer les dimensions génétiques d’une maladie chez des asiatiques, des hispaniques et des africains-américains, ce sera rejeté car mon projet contient le mot « minorité ». C’est effrayant.
Quelles conséquences au niveau international ?
L’impact se fait déjà sentir sur le climat, certaines données d’observation dans de nombreux pays n’existent plus, des programmes de prévisions et modélisations du climat ont été supprimés. L’agence NOAA, responsable de l'étude de l'océan et de l'atmosphère, est en cours de démantèlement. Cela concernera bientôt la santé car les données épidémiologiques et l’expertise des CDC ne sont plus accessibles. La surveillance des maladies infectieuses, et l’immunologie, sont particulièrement dans le collimateur de l’administration Trump, notamment l’émergence de nouveaux agents pathogènes. Les données sur la surveillance de la grippe aviaire, en pleine progression aux Etats-Unis, risquent de ne plus être transmises à la communauté scientifique internationale. Ce qui signifie que si le virus H5N1 passe de l’animal à l’homme, cela pourrait passer inaperçu.
Dans cette urgence, que peut-on faire ?
Exprimer notre solidarité évidemment. Ne serait-ce qu’à titre d’explication car nous ne sommes pas à l’abri qu’une telle conception idéologique de la science arrive chez nous. On entend de temps en temps en France que le CNRS ne sert à rien et coûte des milliards. Dans l’Argentine de Javier Milei, la recherche a été décimée. Les Pays Bas, et leur gouvernement d’alliance entre la droite et l’extrême droite, ferment leurs portes aux étudiants internationaux. À l’inverse, la France devrait accueillir des chercheurs qui souhaitent quitter les États-Unis, comme nous l’avons fait, à une petite échelle, pour des chercheurs ukrainiens.
Propos recueillis par Isabelle Duriez