Côté adjoint ou candidat à un poste d'adjoint, le message est bien reçu : ce contexte favorable change la donne, et élargit les perspectives de rémunération. Sur le terrain, Caroline Philippon, manager en gestion sociale chez KPMG, confirme ce nouveau phénomène : « Au sein des jeunes diplômés en pharmacie, les prétentions salariales se sont élevées, avec un glissement du coefficient 400 vers le coefficient 500 voire 550 à l'embauche. » Pour Daniel Burlet, pharmacien en charge des affaires sociales à l'USPO, il semble en effet qu’une tendance haussière du salaire à l'embauche soit constatée, « mais nous ne disposons pas de chiffre. En outre, ce phénomène est variable selon la situation de l'officine, en fonction du rapport entre l'offre et la demande sur le territoire. Une pharmacie où les candidatures ne se bousculent pas aura logiquement tendance à valoriser la rémunération ». Le représentant syndical en profite d'ailleurs pour corriger une erreur entretenue dans le monde officinal : « La confusion entre salaire et coefficient est fréquente. Or on ne rémunère pas les salariés de l’officine avec un coefficient. » Une remise en place que soutient volontiers Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral FO pour la branche officine : « Selon la Convention collective, les coefficients correspondent à des salaires minimums. Il n'est pas possible de percevoir un salaire inférieur à celui défini par le coefficient mentionné dans le contrat de travail. Mais rien n’empêche de négocier avec son employeur, de façon individuelle, une rémunération au-dessus de la grille, ce que l’on appelle le salaire réel. »
Un salaire raisonnable, c'est quoi ?
Dans ce contexte, comment déterminer une rémunération à la fois séduisante pour l'employé sans pénaliser l'employeur ? « Il est important de conserver une certaine logique comptable pour ne pas mettre en danger l’entreprise. Chez KPMG, on estime en moyenne qu'un adjoint équivalent temps plein doit rapporter à peu près 300 000 euros TTC de chiffre d'affaires, soit environ 100 000 euros de marge ; cela signifie qu’il ne faut pas que le coût chargé de l'adjoint dépasse 100 000 euros a minima », détaille Nicolas Baldo, expert-comptable KPMG.
Daniel Burlet rappelle par ailleurs que la détermination du salaire dépend de l'expérience professionnelle, et des missions et des responsabilités que le titulaire souhaite confier à l’adjoint : « Un adjoint qui a dix ans d'expérience ne valorise pas de la même façon ses compétences qu'un adjoint qui sort de la faculté. Ceci dit, l’enseignement a énormément évolué et est plus tourné vers l’exercice de la profession de pharmacien, intégrant la pharmacie clinique ou les bilans de médication, ce qui constitue un atout pour les jeunes pharmaciens. » Autrement dit, le salaire réel doit rester en adéquation avec la fiche de poste tout en tenant compte des compétences apportées par l'adjoint pour le développement de l'entreprise.
La relation au travail se transforme.
Outre des prétentions salariales à la hausse, la relation au travail tend à se transformer, avec une exigence de plus en plus marquée pour préserver une qualité de vie personnelle. « Un pharmacien me confiait avoir répondu positivement aux conditions demandées par son adjoint lors du recrutement : un salaire au-dessus de la proposition initiale, et un planning resserré sur 3 journées de 10 heures. C'est assez révélateur d'une nouvelle tendance à rechercher un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle », note Nicolas Baldo.
Cette pénurie de salariés en général et d’adjoints en particulier oblige les employeurs à mettre en œuvre des dispositifs divers et variés s'ils souhaitent réussir à recruter. « Les candidats à un poste doivent être attentifs aux conditions de travail, que ce soit l'aménagement des horaires ou la gestion des congés », note Olivier Clarhaut. Le secrétaire fédéral FO s'inquiète d'ailleurs d'une dégradation de l'environnement professionnel « qui a commencé à intervenir même avant le Covid » et du manque de perspectives d'évolution de carrière dans le secteur officinal.
D'autres formes de rémunération.
De plus en plus, les candidats sont sensibles aux dispositifs complémentaires de rémunération que propose l'entreprise, tel que l'intéressement à la participation, le plan d’épargne entreprise ou le plan d’épargne retraite collectif. Ce « supplément rémunérateur » peut faire la différence entre deux employeurs, si un choix s’impose.
« Ces dispositifs sont séduisants mais ils ne doivent pas être des substituts de salaire », prévient Olivier Clarhaut, qui met en garde contre une dérive qui consisterait à permuter une partie du salaire vers un dispositif subjectif, aléatoire, irrégulier, car soumis à l'arbitraire de l'employeur. « Notre position FO sur la rémunération, c'est un salaire fixe, régulier, établi de manière objective. Nous sommes attachés au salaire brut, c’est-à-dire le salaire qui donne lieu à des cotisations sociales, qui finance les régimes de protection sociale au sens large. »
Reconnaître l'investissement de l'adjoint.
La forte mobilisation des équipes officinales pendant la crise sanitaire interpelle sur les moyens de récompenser l'investissement des collaborateurs. « L'accomplissement des missions de santé publique pour lutter contre la pandémie n'aurait pas été possible sans les adjoints ni les préparateurs. En outre, les nouvelles activités réalisées en officine, en particulier les tests ou la vaccination, ont nécessité d’acquérir des compétences supplémentaires via une formation ; et toute compétence supplémentaire doit être reconnue, notamment par la rémunération », commente Olivier Clarhaut.
« Quelques pharmaciens ont mis en place une prime à l'acte. Cette démarche encore très confidentielle, qui s'apparente à un modèle de commission sur vente, peut séduire les candidats ou les salariés déjà en poste », observe Caroline Philippon. Une pratique qu'Olivier Clarhaut juge dangereuse : « Que ce soit un forfait ou une tarification au nombre d’acte, cette méthode expose à des tensions au sein de l’équipe et une dégradation des conditions de travail. » Pour le représentant syndical FO officine, les rémunérations complémentaires pour les nouvelles activités doivent être négociées avant tout au niveau national, pour une application collective. « Pour le moment, les chambres patronales refusent d'ouvrir les négociations, sous prétexte que certaines officines sont en difficulté. Faute d'aboutir à un accord collectif, elles laissent la négociation se faire au sein de chaque entreprise, là où c'est souvent le plus difficile », déplore Olivier Clarhaut.