►Qu’est-ce que la démarque inconnue ?
« La démarque inconnue représente le manque à gagner d'un commerce en termes de ventes pour cause de vol (et de casse, plus marginale en pharmacie) », définit Philippe Becker, directeur du département Pharmacie du cabinet d'expertise comptable Fiducial. Elle peut être exercée par la clientèle, par le personnel en interne ou par tout salarié en lien avec le commerce (livreurs, fournisseurs…) et toucher les produits exposés en rayon ou sur le comptoir, le stock, voire, dans une acception plus large du terme, la caisse et ses espèces. « Des études anciennes ont évalué la démarque inconnue à 1,4 % du chiffre d’affaires des commerces de détail en France. » Ce taux, selon l’inventoriste DG Inventaires, oscillerait entre 0,8 % et 1 % pour le circuit officinal dont le chiffre d’affaires annuel moyen est de 1,8 million d’euros. « Même si une partie non négligeable du stock (médicaments remboursables et OTC en grande partie) est hors de la portée des clients, le problème n’en est pas moins présent », poursuit Philippe Becker. Et ce sont les produits de parapharmacie, cosmétique et diététique - de marques connues, à forte valeur ajoutée et faciles à revendre - qui suscitent le plus la convoitise des voleurs.
►Dans quelles pharmacies ?
« Concernant le vol à l'étalage, il est clair que plus la pharmacie est vaste avec de nombreux linéaires, à l’image du drugstore, plus il y est facile d'opérer », souligne Philippe Becker. Des zones d'expositions et de rayonnages importantes, donc plus difficiles à surveiller, un flux de clientèle important avec des files d'attente qui peuvent gêner la visibilité de l’espace, sont plus propices aux gestes indélicats. Quant à la démarque (ou « coulage ») du fait d’un membre de l’équipe, elle sera en général plus marquée si le « turn-over » est important parmi le personnel de ce type d'officine.
►Les signes de la démarque inconnue
Comme généralement elle se produit de façon régulière, la démarque inconnue est difficile à repérer, ne faisant pas ressortir des signaux forts dans les comptes journaliers de l’officine. « Ce sont les contrôles périodiques entre stocks réels et stocks informatiques qui permettent de comprendre qu'il se passe un phénomène anormal », rappelle Philippe Becker. Cette vérification doit être effectuée régulièrement si l’on veut mettre à jour un éventuel problème de vol et éviter de découvrir l'ampleur des dégâts lors de la clôture des comptes ! « Le coulage d'un salarié indélicat est plus facile à repérer car généralement il débute à un niveau faible pour gagner rapidement en importance et en fréquence. » Passé un temps, le titulaire notera, au détour d'un rayon, qu’il manque régulièrement des produits ou que se posent des problèmes significatifs de marge sur certaines gammes. « Lorsqu'il y a suspicion, nous suggérons de faire discrètement des inventaires physiques réguliers (réalisés par le titulaire ou un inventoriste) afin de comparer avec les stocks, réel et théorique. Cette simple mesure permettra de lever le doute avant d’entamer toute autre procédure. »
►Impliquer l’équipe
La démarque inconnue engendrée par la clientèle doit bien sûr faire l’objet d’une réunion avec l’équipe. « Quand il y a vol, c’est la performance économique de l’officine qui est attaquée et les salariés peuvent en subir les conséquences en voyant, par exemple, leurs primes impactées, explique Marie-Hélène Gauthey, de l’organisme de formation Atoopharm. Ce problème concerne toute l’équipe et c’est le sens du message à délivrer par le titulaire. » Comment réagir en situation de flagrant délit, qu’est-on en droit de faire face au voleur, doit-on agir seul ou prévenir le responsable de l’officine… ? Quelle attitude avoir si l’on constate qu’il manque des produits dans un rayon, qui alerter en premier ? Toutes ces questions doivent faire l’objet d’une procédure qui va détailler le comportement à adopter en cas de vol constaté. C’est au titulaire de décider - en fonction de la taille de l’officine, de son agencement, de sa fréquentation - quelle sera la meilleure démarche à suivre. Il devra aussi désigner un référent « vol » dans l’équipe à qui s’adresser en cas d’absence du responsable.
L’avocate Géraldine Marchisio, citant l'article 73 du code de procédure pénale, précise que le pharmacien a qualité pour appréhender l'auteur d'un flagrant délit de vol dans son officine et le conduire devant l'officier de police judiciaire sans pour autant se substituer aux forces de l'ordre. Il peut demander à toute personne son identité, d'ouvrir son sac ou vider sa poche, de rendre la marchandise ou de la payer, mais il ne pourra à aucun moment contraindre cette personne manu militari. Il appartient au pharmacien de prévenir la police au moment où l'infraction est constatée, puis de déposer une plainte au commissariat le plus proche s'il le souhaite.
►Réagir en cas de démarque interne
Qu’il manque des produits en back-office ou de l’argent dans la caisse – des écarts récurrents de 30, 50 ou 100 euros - il faut intervenir rapidement.
« On prévient tout de suite le titulaire qui devra décrire et tracer les faits », indique Marie-Hélène Gauthey. Ensuite il faut informer l’équipe des faits. « On expose la situation d’une manière factuelle en précisant ce que l’on a constaté, un écart de caisse ou des produits manquants, les montants relevés, les dates des événements. » Les conséquences peuvent être lourdes pour l’officine d’un point de vue économique, mais surtout relationnel, car un climat de suspicion permanente peut s’installer. « Le titulaire doit demander que les vols cessent immédiatement pour que l’ambiance au quotidien ne soit pas affectée car comment travailler ensemble si on se suspecte ? » Même s’il s’agit de petites sommes, il faut réagir vite car le vol peut concerner l’officine, mais aussi les biens personnels de chacun. « Si le discours n’a pas d’effet et que la démarque se poursuit, le titulaire devra mener son enquête afin de prendre la personne sur le fait. Le vol constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement pouvant être qualifiée de faute grave, ce qui privera le salarié d'indemnités de licenciement. Il peut aussi faire l'objet d'une plainte pénale – étayée par des preuves (vidéo, témoignages…) - donnant lieu à une action devant les tribunaux. »
►Quels outils de surveillance ?
Plusieurs solutions existent pour lutter contre la démarque inconnue à l’officine : portiques antivol, dispositif de vidéoprotection impliquant l’installation de caméras reliées à un écran, alarme d’effraction, système de contrôle d’accès à certaines zones de l’officine…
Tout établissement utilisant une vidéosurveillance doit cependant en informer le public en le signalant sur sa vitrine. La mention devra également figurer dans les documents fournis par l’employeur à ses salariés.