Des disparités de revenus notables
Des distorsions importantes en matière de rémunération existent entre un pharmacien en entreprise individuelle ou en Société en nom collectif (structure d’association généralement à l’impôt sur le revenu) et la rémunération d’un gérant de SEL ou de SARL. « C’est sur cette dernière population que nous pouvons tirer des enseignements sur le niveau de rémunération du pharmacien titulaire », explique Bastien Legrand, expert-comptable chez FCC à Marcq en Baroeul et vice-président du groupement CGP.
Ces écarts s’expliquent par des différences de règles comptables, liées au régime fiscal. « Dans le cadre de l’imposition sur le revenu, la rémunération du titulaire est constituée de l’intégralité du bénéfice de la pharmacie. Elle finance donc l’emprunt éventuellement contracté pour lancer l’activité de l’officine, notamment pour l’achat de la pharmacie. En revanche, lorsque l’officine est soumise à l’impôt sur les sociétés, la rémunération du pharmacien et le bénéfice de l’officine sont disjoints. » Ce bénéfice peut alors être utilisé pour rembourser un éventuel emprunt ou être distribué sous forme de dividendes. (Voir tableau 1).
La rémunération moyenne nette de cotisations sociales d'un titulaire s’élève à 50 300 euros et elle représente 2,60 % du chiffre d’affaires hors taxes. Il faut savoir que les pharmaciens titulaires consacrent environ 20 % de l'excédent brut d'exploitation (EBE) de l'officine à se rémunérer. Il s’agit de la « seule » rémunération du travail du pharmacien d’officine. En comparaison, la rémunération moyenne annuelle nette d’un pharmacien coefficient 600 est de 39 600 euros. (Voir tableau 2).
L’impact de la taille de l'officine, des zones géographiques
Il ressort de grandes disparités de revenus selon la taille de l'officine : 22 200 euros pour une officine dont le chiffre d’affaires hors taxes est inférieur à 1 000 000 d'euros contre 70 900 euros pour une officine de plus de 2 500 000 d'euros.
Dans les petites structures, le montant de l'endettement ne permet toujours pas au titulaire de se rémunérer correctement. « Seule une baisse significative des prix de cession de ce type d'officine permettra de rémunérer correctement le titulaire et d'attirer à nouveau les prétendants à l'installation. Le niveau de rémunération aura un impact direct sur le prix de cession de l'officine par l'application du multiple de l'EBE retraité, déduction faite de la rémunération souhaitée du futur titulaire. »
On constate qu’il existe effectivement une « prime à la taille » pour les titulaires d’officine supérieurs à la moyenne. Celle-ci s’explique notamment par une meilleure absorption des charges d’exploitation et par le poids de la rémunération qui pèse moins sur le niveau de rentabilité (2,37 % du chiffre d’affaires hors taxes pour les officines de plus de 2,5 millions d’euros contre 2,6 % en moyenne). « Attention toutefois aux constats hâtifs, certains cas de figure sont là pour faire mentir les moyennes. »
La situation de l'officine et du titulaire : surendettement, remboursement
Le fait d’avoir la majorité des titulaires à l’impôt sur les sociétés rend plus lisible la distinction entre la rémunération du travail caractérisée par la rémunération de gérance et la rémunération du capital. Dans ce cas-là, le résultat de la société est mis en réserve en période de remboursement et peut être appréhendé au moyen de dividendes par le titulaire quand l’officine est désendettée. « Il est donc primordial au moment de l’installation de bien incorporer la rémunération du travail à sa juste valeur, a minima l’équivalent d’un coefficient 600, et de disposer une marge de manœuvre suffisante, de telle sorte que la rémunération du titulaire ne devienne pas la variable d’ajustement d’un budget prévisionnel d’une officine surpayée. »
L’arbitrage entre rémunération et dividende
Si votre officine est désendettée ou présente de bons résultats, vous pouvez envisager de mieux vous rétribuer. Si vous détenez l’intégralité des titres, il est conseillé d’actionner des leviers pour optimiser vos revenus nets annuels, ainsi que ceux qui sont différés. L’arbitrage entre complément de rémunération et dividende se pose alors. « L’avantage revenait presque toujours au complément de rémunération (en régime TNS – travailleur non salarié) jusqu’en 2017. Mais avec les réformes (notamment la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et la flat tax) ce constat est moins tranché. »
L’arbitrage rémunération/dividende est fait via l’analyse de votre situation fiscale. « Retenons pour faire simple que le complément de rémunération est souvent plus avantageux tant que le pharmacien n’est pas dans une tranche marginale d’IRPP au-delà de 41 %, soit 73 000 euros de revenus pour contribuable célibataire, et 158 000 euros de revenus pour l’ensemble du foyer pour un contribuable marié ou pacsé. » Au-delà de cette tranche, généralement l’expert-comptable opte pour la distribution de dividendes soumis à la flat tax de 30 %.
Vous pouvez également avoir un intérêt à constituer une SPFPL dans laquelle vous logerez les dividendes de votre officine. Sachez que, dans ce cas, leur imposition relève du régime mère-fille, ce qui signifie une quasi-absence de fiscalité. Les sommes accumulées pourront éventuellement vous permettre de prendre des participations dans d’autres officines, dans la limite toutefois de trois pharmacies par SPFPL.
L’impact de la rémunération sur la protection sociale et la prévoyance retraite
La rémunération crée de la protection sociale, notamment en matière de droit à la retraite. Rappelons que la cotisation auprès de la caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) se compose comme suit : une cotisation avec une part en répartition, égale pour tous les pharmaciens, et une autre par capitalisation qui augmente selon les tranches de revenus.
Toutes les autres cotisations que l’on peut considérer comme facultatives sont essentielles : la prévoyance santé (indemnités journalières, invalidité, décès), la mutuelle, la prévoyance retraite ou retraite complémentaire (contrat Madelin ou PERP). Ces cotisations dépendent peu du niveau de revenu. « Il faut répondre à un arbitrage coût/objectif, qui est différent d’une personne à l’autre. Nous analysons la situation personnelle de chaque pharmacien pour l’aiguiller au mieux dans sa protection sociale », conclut Bastien Legrand.
* Les pharmacies exploitées sous forme de sociétés représentaient près de 90 % de l’échantillon étudié. Cette ventilation a été réalisée en fonction de la situation géographique et du chiffre d’affaires hors taxes.