Un nouveau marché est en train d’émerger à l’officine et son potentiel de développement est loin d’être négligeable. Alors que le cannabis médical – dont l’intérêt thérapeutique fait actuellement l’objet d’une expérimentation sur le territoire - gagne en légitimité, une offre inédite à base de cannabidiol (CBD) prend de l’ampleur en pharmacie.
Ce cannabinoïde non psychotrope, présent dans le chanvre, ou cannabis, aux côtés d’autres cannabinoïdes – cannabigérol (CBG), cannabinol (CBN) … – n’entraîne pas de dépendance et aurait des propriétés anti-inflammatoires, anxiolytiques, antalgiques. Il appartient aux quelque 500 éléments chimiques qui composent le cannabis et qui incluent notamment le tétrahydrocannabinol (THC) - classé parmi les stupéfiants - mais aussi les terpènes et les flavonoïdes potentiellement antalgiques, anti-inflammatoires, antioxydants, neuroprotecteurs. « On travaille de plus en plus à cibler les molécules en fonction de leurs propriétés », souligne Xavier Schmitz, directeur commercial pour le pôle Pharmacie chez CIDS/Stilla Laboratoire. Au-delà du cannabidiol, le laboratoire concentre ainsi ses recherches sur les terpènes et les cannabinoïdes afin de mieux connaître les actifs et exploiter leur synergie.
Les huiles majoritaires
Troubles du sommeil, anxiété, stress, petites douleurs articulaires ou musculaires sont ainsi visés par les produits à base de CBD. Sur le circuit officinal, ils prennent le plus souvent la forme d’huiles sublinguales, de crèmes et de gels de massage, ou de plantes à infuser. « Les huiles sublinguales et les tisanes se destinent plus volontiers à accompagner les épisodes de trouble émotionnel en apportant du bien-être, poursuit Xavier Schmitz. Les formes topiques présentent souvent des concentrations plus faibles en principes actifs et s’utilisent en massage sur les zones douloureuses, les tempes en cas de maux de tête, le ventre lors des épisodes douloureux du cycle, les articulations… » Trois gammes sont référencées par CIDS/Stilla Laboratoire : des infusions bio Rest in Tizz à base de chanvre vouées à réguler le stress et l’anxiété ; des huiles sublinguales CBD (différentes concentrations), CBG et CBN, des gummies CBD et CBN axés sur la relaxation et le sommeil ; une nouvelle ligne cosmétique (cryogel, crème chauffante, baume chinois) destinée au confort articulaire et musculaire.
Bien d’autres marques sont présentes en pharmacie comme les huiles CBD Remedeus Origin (Compagnie française du chanvre), huiles CBD Granions, roll-on et gel crème CBD (EA Pharma), Kamol CBD Gel (Pharma SGP/Eurodep Pharma), crème de massage Arnican CBD (Cooper Consumer Health), huile CBD Khalice (Biocyte), Noto huiles CBD (Ozen), huiles large spectre Dr Smith CBD (Leader Santé)… La gamme Ho Karan, pour sa part, abrite un sérum (L’Antidote) à visée déstressante qui s’utilise comme une huile sublinguale, des soins cosmétiques (Baume Miracle, Crème Stupéfiante, Trio nettoyant, déodorant…), un spray d’intérieur à base d’huile essentielle de chanvre… Fondatrice de la marque holistique (voie cutanée, orale, respiratoire), Laure Bouguen témoigne d’une demande qui explose en matière de solutions naturelles destinées à l’équilibre émotionnel et au sommeil.
Transparence et contrôle
Les formules à base de CBD ne peuvent contenir plus de 0,3 % de THC pour pouvoir être vendues, tout comme les fleurs et les feuilles brutes de chanvre dont la vente, récemment menacée d’interdiction, a été de nouveau autorisée par le Conseil d’État. Ces revirements nourrissent une certaine confusion sur le marché du CBD, opacité que renforcent la méconnaissance de l’offre, le besoin de contrôle que requiert la filière et une législation non aboutie quant au statut des produits. « Le taux de THC des formules pose aussi des difficultés car de nombreux produits viennent d’Europe où les teneurs peuvent être différentes, reprend Xavier Schmitz. La législation française doit permettre de sécuriser les compositions en imposant des analyses fiables, certifiées par une chaîne d’autorité (blockchain). L’officine et les consommateurs ont besoin de plus de transparence. » Le pharmacien aussi car il est responsable de ce qu’il vend, comme le rappelle René Maarek, pharmacien et addictologue, en soulignant l’importance de la formation dans ce domaine : « Il doit veiller à la qualité du produit (voir l’Aphad*) en exigeant un label bio afin d’exclure les pesticides et métaux lourds des compositions. Il doit s’assurer des conditions de culture qui peuvent influer sur la composition des plantes, ce qui implique de connaître les fabricants. Par ailleurs, les packagings ne peuvent comporter d’allégations thérapeutiques prouvées par des études dont la publication est encore attendue. Enfin, les produits CBD doivent relever de la liste des statuts autorisés à l’officine, celui de « novel food », qui désignera les compléments alimentaires à base de CBD, étant en cours de validation par l’Union européenne. »
Ce qui n’empêche pas la spectaculaire progression des ventes en pharmacies, de 9 000 % en volume et 5 000 % en valeur en 2021, de 1 700 % en volume et 1 300 % en valeur sur les douze derniers mois. Témoin d’un marché en pleine construction, cette envolée révèle surtout le succès de ces produits et sans doute l’attente qu’ils ont suscitée. « En Europe, le marché du CBD se chiffre à 1,5 milliard d’euros mais il devrait atteindre 6 milliards en 2025 », précise Xavier Schmitz. En France, sur le seul circuit officinal, son chiffre d’affaires a dépassé les 5,7 millions d’euros sur un an (IQVIA Pharmastat). « L’officine occupe une part croissante sur ce marché qui a émergé il y a moins de deux ans. Le public qui recherche conseil et assurance quant à la qualité des formules, se tourne de plus en plus vers le pharmacien. » De nombreux autres circuits se partagent la distribution des huiles, e-liquides, fleurs contenant du CBD : boutiques spécialisées (CBD shops), commerces de vape, buralistes, concept stores (magasins multimarques), vente en ligne. « Difficile de s’assurer que la teneur maximale en THC est respectée pour des produits qui peuvent venir de toute l’Europe. » Un besoin de traçabilité et de transparence auquel CIDS a répondu en cultivant son chanvre en France de façon à maîtriser toute la chaîne de production. « Un grand besoin d’information – dosage, posologie, interactions médicamenteuses – se fait sentir concernant ces produits qui sont régulièrement prescrits par les médecins. » Il faut renforcer le volet médical des produits à base de CBD, conclut Xavier Schmitz en rappelant que le chanvre est une plante ancestrale dont l’étude scientifique reste assez récente.
*Aphad (Audit Pharma CBD) : association pour le contrôle de la qualité et la conformité des produits à base de CBD en pharmacie, formation des officinaux par Webinaires.