Demain, une personne âgée seule sera transportée aux urgences faute d'avoir pu être réhydratée à temps parce qu'aucune perfusion n'aura été posée à domicile. Ce scenario tant redouté, les libéraux de santé le connaissent. Les maires, à l'instar de Gilles Noël, président de l'association des maires ruraux de la Nièvre, le vivent fréquemment dans leurs communes en proie à la désertification médicale. Pourtant, accuse l'UNPS*, l'État continue d'opposer une fin de non-recevoir à la proposition des professionnels de terrain de mettre en œuvre le dispositif d'ESCAP.
Ce modèle consiste en une coordination des soins reliant, avec l'assentiment du patient et pour un épisode déterminé dans le temps, un infirmier, un pharmacien, un médecin, un kiné, un podologue, ou tout autre professionnel dont l'intervention est jugée nécessaire. Un modèle vertueux car il repose sur une organisation souple, générant peu de frais de structures si ce n'est les coûts en matériel numérique, et évite d'engorger les services d'urgences dans bon nombre de cas. Les professionnels de santé libéraux affirment cependant se heurter à un mur. Depuis le 1er mars, date d'ouverture des négociations d'un avenant à l'ACIP (accord-cadre interprofessionnel), aucune autre rencontre n'a eu lieu. Les libéraux ont une piste d'explication à la surdité des pouvoirs publics. Comme l'avancent les représentants de l'UNPS, « ce dispositif émane du terrain et ne rentre pas dans les schémas de coordination des soins prévus par l'État tels les ESP, MSP et CPTS, qui sont des structures présentielles. »
Un dispositif patient-centré
Tous les sigles ne se déclinent donc pas de la même manière ; que ce soit avenue de Ségur ou à l'assurance-maladie, la volonté politique fait défaut, déplorent les professionnels de santé. Ils insistent pourtant sur l'opérabilité de leur dispositif. Trois éditeurs de logiciels sont d'ores et déjà prêts à proposer des solutions de messageries sécurisées permettant à tous les professionnels d'un secteur de pouvoir communiquer entre eux. La grille d'inclusion du patient (voir encadré), répondant à des critères très précis et s'inspirant de différents modèles validés par la Haute Autorité de santé (HAS), est finalisée. Reste à obtenir le feu vert pour cette solution universelle qui s'adressera à tous les Français de tous les territoires, comme le définit le Dr William Joubert, président de l'UNPS. Il est formel. Il n'est pas question de faire concurrence aux autres structures existantes, telles les MSP et les CPTS, mais bien de venir en appui. « Nous apportons de nouveaux effecteurs et une réelle réponse au besoin de proximité dans les territoires. De plus, l'ESCAP garantit la continuité des soins en permettant à des libéraux installés localement, voire à des petits cabinets de groupe, de pérenniser leurs pratiques ».
La prise en charge par l'ESCAP peut être déclenchée par n'importe quel professionnel de santé pourvu que le patient totalise au moins 15 points au cours de l'évaluation de sa situation à l'aide de la grille d'inclusion (nombre de pathologies, polymédication, contexte social…). Un médecin doit être obligatoirement intégré à l'ESCAP mais il peut s'agir d'un médecin hospitalier. Si le patient peut désigner lui-même les professionnels qui l'entourent, ils seront intégrés à l'ESCAP. Dans le cas contraire, le professionnel à l'initiative de l'ESCAP ira puiser dans le réseau de professionnels de santé local les ressources requises par la situation du patient. Y compris un médecin traitant si le patient en est dépourvu. « Le patient est au centre du dispositif, il en est acteur », insiste Sébastien Guérard, kinésithérapeute et vice-président de l'UNPS.
Une traçabilité et des indicateurs
Cependant, le manque d'originalité de ce modèle n'explique-t-il pas finalement pourquoi l'ESCAP rencontre si peu d'écho au niveau des pouvoirs publics ? Ce dispositif ne correspond-il pas à la pratique quotidienne des libéraux de santé engagés dans leurs territoires ? « Aujourd'hui, chaque profession reste dans sa "ligne de nage". L'information circule peu entre les professionnels et surtout les échanges ne sont pas formalisés. C'est la faiblesse actuelle. Il nous faut un outil sécurisé garantissant la diffusion de l'information à tous les acteurs concernés », énonce le Dr Joubert. Outre la messagerie sécurisée, toutes les informations seront versées au DMP, un raccordement à « Mon espace Santé » étant prévu à moyen terme. Car la deuxième force de ce dispositif est la traçabilité qu'il permet. Ainsi des indicateurs - tel le non-recours aux urgences - pourront prouver la pertinence de cette organisation des soins.
Moyennant ces éléments, l'ESCAP réunit toutes les conditions pour pouvoir entrer dans le champ conventionnel. Tout au moins pour partie. Le forfait structure couvrira l'équipement en outils numériques nécessaires à l'obtention d'une ROSP pour les professions pouvant en percevoir, les paramédicaux étant exclus de ce système de rémunération. En ce qui concerne la prise en charge du patient, en revanche, les professionnels libéraux sont formels, il n'est pas question qu'elle soit forfaitisée ! « Le paiement sera individualisé », insiste John Pinte, infirmier et vice-président de l'UNPS.
Il reste désormais une semaine aux libéraux de santé pour convaincre François Braun, coordonnateur de la mission flash sur les urgences, que l'ESCAP peut être l'un des composants du SAS (Système d'accès aux soins). Car le 1er juillet, le président de SAMU-Urgences de France, désigné par le président de la République, devra rendre ses conclusions et émettre des solutions. « Il faut faire confiance aux libéraux », répète à l'envi le Dr Joubert.
D'après une conférence de l'UNPS.
* 500 000 professionnels de santé, 12 professions et 23 syndicats, dont la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO).