Et si les pharmaciens ne connaissaient vraiment de l’informatique officinale que la partie émergée de l’iceberg ?
Une méconnaissance que d’aucuns estiment dommageable. « Il y a des structures qui vont mal alors qu’elles ont toutes les raisons d’aller bien », va jusqu’à dire Charles Romier, cofondateur du Comptoir des Pharmacies. À côté du logiciel de gestion officinale, qui reste le pilier de la gestion de la pharmacie, se sont développés de nombreux outils capables d’optimiser la plupart des tâches auxquelles sont confrontés les pharmaciens. Grâce aux technologies full Web, grâce aussi aux possibilités offertes par le mode Saas (les systèmes hébergés) ainsi que par le modèle du logiciel libre, des start-up ont su proposer des solutions souples pour traiter de façon plus pointue, qui la gestion des stocks et des achats, qui la comptabilité et le tiers payant, qui la communication, les relations avec les patients, l’interprofessionnalité et bien d’autres domaines encore. Bref, ces outils ratissent large et offrent bien des possibilités aux titulaires d’officine.
L’analyse des « data »
L’idée de base de ces prestataires est de rendre plus performante l’informatique officinale en automatisant le maximum de tâches grâce aux technologies les plus récentes, notamment celles basées sur les algorithmes. Et chacun y va de sa compétence. Pour le Comptoir des Pharmacies, le cœur de son action est la gestion de la « data ». Les données de la pharmacie, un vrai trésor mal exploité comme nous l’évoquions dans notre édition du 23 janvier dernier, doivent guider tout ce qui concerne les stocks et les achats. « La grande majorité des pharmaciens n’achètent que de la remise, constate Charles Romier, alors qu’il faut analyser ses data afin de trouver une offre adaptée à son volume et à sa stratégie. »
L’objectif de l’entreprise est d’analyser et de traiter ces données, de les automatiser au mieux afin d’optimiser les achats et les stocks, une problématique rendue d’autre plus aiguë que selon Charles Romier, le stock moyen des pharmacies est passé de 25 000 euros environ avant le confinement à un stock moyen de 35 000 euros après. L’entreprise propose un outil d’automatisation de gestion des achats, auquel il va bientôt ajouter une offre de prestations sur mesure par le biais d’un groupement, le Club Comptoir des pharmacies, en cours de création. L’entreprise s’intéresse également à la comptabilité, « rien n’est optimisé en la matière », affirme ainsi son dirigeant. « Un logiciel de comptabilité est souvent déconnecté de la vente, cela signifie des ressaisies, du travail administratif en plus », explique pour sa part Alain Vanzella, président de Pharmasoft, éditeur du logiciel intégré Odoo Pharma, conçu sur la base du logiciel libre Odoo. « L’intégration des différents process est utile, elle est source d’économie, avant d’envoyer les documents à l’expert-comptable, et elle apporte des informations qui permettent de mieux piloter l’entreprise. »
Améliorer la gestion du tiers payant
D’autres encore mettent en avant l’optimisation de la gestion du tiers payant. Tel est le cas de Kozea. « Il y a beaucoup de rejets et donc de pertes d’argent », commente son fondateur et dirigeant Philippe Donadieu. « Et cela du fait de nombreuses anomalies possibles, comme par exemple une baisse de vigilance quand un collaborateur oublie de faire une copie de la carte mutuelle lors d’un changement de mutuelle », explique-t-il. Pour lui, les coûts de mobilisation sur le sujet du tiers payant d’un pharmacien adjoint sont de 26 000 euros par an. Kozea propose depuis les années 2015-2016 sa solution « Back-Office » avec comme tâche de diagnostiquer le risque d’anomalie et la traiter. Cela consiste en la requalification du rejet pour en identifier la nature, l’outil permet également le suivi des relations assurance avec les caisses et les complémentaires. « Cela va jusqu’à la gestion des rendez-vous avec ces organismes, quand par exemple une pharmacie contacte une mutuelle, le logiciel identifie tous les cas liés à cette mutuelle, cela aboutit à un seul appel pour régler de nombreux cas », commente Philippe Donadieu.
Pour sa part, Valwin a, entre autres centres d’intérêt, mis l’accent sur la relation avec les patients en proposant la création d’un dossier patient et divers outils susceptibles d’aider les pharmaciens et leurs patients à mieux interagir et à gagner du temps, avec par exemple l’automatisation de la gestion des rendez-vous. Le dossier patient est destiné à avoir toutes les informations liées à un patient, son historique de commandes, ses rendez-vous, etc. Mais n’est-ce pas un peu redondant avec ce qui existe déjà, le DP, le DMP et les propres dossiers patients gérés par les LGO eux-mêmes ? Camille Freisz, fondatrice et présidente de Valwin, admet que dans l’idéal, il faudrait un dossier unique. Mais chacun essaie de mettre en place quelque chose, peut-être aussi un signe de la jeunesse de ce marché suggère-t-elle en substance. « Les LGO s’occupent surtout du back-office, et le DMP ne prend pas comme il devrait, sans doute du fait de sa relative complexité d’usage, explique-t-elle. Le DP reste important, et s’il y a besoin de le connecter à notre outil, ce sera possible grâce à son architecture ouverte. » Valwin s’intéresse à d’autres aspects, la gestion des plans trade par exemple, mais aussi à l’interprofessionnalité. « Nous avons constaté que des infirmières utilisent notre application de réservation d’ordonnance parce qu’elle est sécurisée, explique Camille Freisz, nous souhaitons créer une interface de façon à mieux travailler avec elles et d’une manière plus générale, il y a beaucoup de choses à faire avec les nouvelles missions du pharmacien. »
Faire en sorte que tout marche ensemble
Faut-il encore faire en sorte que tout fonctionne de façon fluide ? « Tout », c’est-à-dire le LGO, ces nouveaux outils et toutes les ouvertures nécessaires au bon fonctionnement des systèmes d’information des officines, ouvertures vers tout ce qui fait le travail quotidien des pharmaciens : relations avec les laboratoires, les grossistes répartiteurs, l’usage des cartes de fidélité et bien d’autres… En un mot, faire en sorte que tout soit interopérable. De ce point de vue, les enjeux diffèrent selon les solutions envisagées. « Pour travailler sur la gestion du tiers payant, il nous suffit simplement d’avoir un accès utilisateur avec les LGO mais en revanche, pour tout ce qui concerne la vente en ligne, il nous faut un accès direct au stock de la pharmacie via le LGO, d’où la nécessité dans ce cas de développer des passerelles », explique Philippe Donadieu (Kozea).
La création de passerelles, ou des API, dépend beaucoup des situations, selon Olivier Verdure, président de Pharmonweb. « Soit le LGO a déjà une API, soit le prestataire a un niveau technique suffisant pour le créer, en général, c’est le fruit d’une concertation. » Concertation ou négociation qui a longtemps été difficile. Elle est aujourd’hui plus aisée, les éditeurs de LGO ont pour la plupart désormais une stratégie définie et même si ici ou là on leur reproche encore une certaine lenteur (le développement d’API n’est pas leur priorité), mais les choses avancent. « Avec certains, c’est facile, avec d’autres, c’est un peu plus compliqué, du fait de plannings trop chargés », observe Olivier Verdure. Ça peut l’être encore plus avec d’autres profils de partenaires, comme les laboratoires pharmaceutiques qui selon Alain Vanzella (Pharmasoft) ont des niveaux de maturité digitale très différents les uns des autres.
Ouverture et sécurité
Ces solutions sont ouvertes, du fait de leur aspect full Web et leur mode Saas, et souples d’usage, notamment parce qu’elles ne recourent pas à la gestion traditionnelle et plus lourde des applications sur serveur. « Cela permet de développer des outils sur mesure au moindre coût », explique Philippe Donadieu. « Le mode Saas, c’est notre fonds de commerce, cela nous permet notamment de proposer des abonnements sans engagement », affirme Olivier Verdure qui n’imagine pas agir autrement. « Un leasing sur plusieurs années, aujourd’hui, ce n’est pas imaginable… » Sont-elles sécurisées pour autant ? Les start-up l’assurent, elles s’appuient entre autres arguments sur l’Open source, ou logiciel libre (même si ces deux notions ne se recouvrent pas entièrement). L’Open source permet d’accéder à un code source et des travaux de programmation mis en commun. L’Open source est utilisé par Kozea et Pharmonweb. Pour Philippe Donadieu, la sécurité est un élément très important pour tous ceux qui travaillent sur cette base. C’est aussi une philosophie de développement très utile. « Si par exemple un client désire avoir un chatbot, donc un système de communication automatisé, soit on le code de A à Z, soit on utilise un chatbot de l’Open Source, déjà codé à 70 %, explique Olivier Verdure. Dans ce dernier cas, on gagne du temps et les développeurs mettent leurs améliorations au bénéfice de la communauté. »
L’avantage de l’Open source a été poussé jusqu’au bout de sa logique par Pharmasoft. L’éditeur a eu l’idée de développer un ERP, un logiciel de gestion intégré, sur la base de l’ERP le plus installé au monde selon elle, Odoo. Celui-ci est construit sur un modèle Open source et couvre tous les besoins des entreprises. Pharmasoft a développé à partir de ce logiciel Odoo Pharma une suite de modules métiers dédiée aux pharmacies d’officine, couvrant tout, facturation, comptabilité, management, gestion de stock, e-commerce pour celles qui font de la vente en ligne et aussi tous les services liés au métier de pharmacien, prises de rendez-vous en ligne, messagerie sécurisée, livraison à domicile, etc. C’est le premier logiciel intégré pour le monde de la pharmacie et c’est un process d’optimisation globale, qui vient en complément du LGO, un peu comme une surcouche logicielle. Elle évite ainsi la problématique de communication à laquelle les pharmacies qui utilisent plusieurs logiciels sont confrontées.