DTx. Derrière cet acronyme aux consonances électroniques ne se cachent ni robot humanoïde, ni engin spatial, mais des traitements d’un genre nouveau : les digital therapeutics, ou thérapies digitales. Soit, selon la Digital Therapeutics Alliance (DTA), qui réunit des fabricants de DTx, des dispositifs « pilotés par des logiciels de haute qualité », « certifiés par des organismes de réglementation » et capables de « fournir des interventions thérapeutiques basées sur des preuves ». Et ce, « pour traiter, gérer ou prévenir un trouble ou une pathologie ». Autrement dit, « il s’agit (…) de traitements scientifiques validés », insiste dans sa thèse de pharmacie Pierre-Jean Stepani, officinal à Marie-Galante : rien à voir avec des applications de bien-être jamais homologuées ni évaluées par des études cliniques.
Le développement des DTx a débuté il y a 10 à 20 ans, essentiellement au sein de start-ups américaines. Et la fin des années 2010 a vu l'accélération de leur mise au point. Si bien qu’en 2018, la Food and drug administration (FDA) américaine a autorisé une première DTx – l’application ReSET destinée à la prise en charge des addictions.
Depuis, les DTx se sont multipliées et seraient plus d’une centaine dans le monde, fondées sur des technologies variées (appareils connectés, réalité virtuelle, applications mobiles) ciblant des pathologies diverses, majoritairement chroniques : diabète, obésité, troubles de la vision, etc. La santé mentale n’est pas en reste, nombre de DTx ciblant la dépression, les troubles du sommeil, les TOCs, etc.
La France veut ses DTx
Si les États-Unis restent les principaux utilisateurs de thérapies digitales, l’Europe pourrait bientôt les imiter. De premières DTx – considérées comme des dispositifs médicaux numériques – ont en effet obtenu un marquage CE. En France, quelques-unes ont même accédé à une prise en charge par l’assurance-maladie. Comme la « boucle fermée hybride » de Diabeloop, prescrite à des diabétiques de type 1 par des praticiens comme le Pr Michaël Joubert, endocrinologue au CHU de Caen-Normandie. Ou l’application Moovcare de dépistage des rechutes du cancer du poumon.
D’autres DTx arrivent à l’hôpital grâce au financement des établissements. À l’instar de programmes de réalité virtuelle d’hypnose dédiés à la prise en charge de la douleur, indique le Pr Éric Serra, chef du service du Centre d'étude et de traitement de la douleur du CHU d'Amiens et vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur.
En outre, les autorités sanitaires souhaitent accélérer et étendre la mise à disposition des DTx. Notamment parce que la crise du Covid-19 a montré et validé l’intérêt du numérique en santé. Mais aussi parce que ces technologies promettent tout à la fois de personnaliser les prises en charge, d'optimiser les résultats thérapeutiques, de réduire les consommations de certains médicaments, de limiter les dépenses de santé et les inégalités d’accès aux soins ou encore de renforcer l’observance des traitements, énumère Pierre-Jean Stepani. Le tout, avec une innocuité indiscutable.
Preuve de la confiance accordée à cette nouvelle offre thérapeutique, d’autres voies de remboursement que le parcours classique viennent de s'ouvrir. Elles nécessitent le dépôt d’un dossier très détaillé pour l'évaluation technique par l’Agence du numérique en santé (ANS), et clinique et organisationnelle par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts) de la Haute Autorité de santé (HAS). En particulier, « le législateur a proposé (…) un dispositif de prise en charge anticipée d’un dispositif médical numérique (Pecan), dont le décret d’application est paru il y a quelques mois », rappelle Corinne Collignon, pharmacienne chef de la mission numérique en santé à la HAS. L’idée : permettre aux industriels ne disposant pas de données complètes d’accéder à un remboursement temporaire, et de soumettre les informations manquantes 6 mois plus tard.
Mais cette disposition ne fera pas tout. D’abord parce que « 6 mois pour délivrer les résultats finaux, c’est peu », estime Alexandre Prihnenko. Le directeur général du fabricant de DTx Oviva France et co-pilote d’une Task Force de l’association d’entrepreneurs France Bioetch sur les DTx, relève aussi une inconnue : les taux de remboursements. « Or nombre de start-ups risquent de s’écrouler », s’alarme Mathilde Pasko, pharmacienne associée de la société de conseil en santé numérique TechToMed.
Se posent également plusieurs problèmes de fond, au premier rang desquels la question de l’évaluation des DTx. Trouver des comparateurs pertinents pour les essais cliniques n'est pas chose facile, observe Alexandre Prihnenko. De plus, alors que les études avancent lentement, « les technologies, elles, évoluent vite », souligne Geoffrey Kretz, cofondateurs du collectif Mental Health. Enfin, note de son côté Corinne Collignon, les industries du numérique sont globalement assez peu sensibilisées aux exigences du secteur médical.
Médecins et patients hésitants
Autre obstacle à leur développement : l’utilisation des DTx par les médecins est encore faible. « En 2022, dans la revue " Douleurs ", nous avons recherché les traitements non médicamenteux de la douleur mentionnés dans des lettres de médecins. Résultat : les DTx n’étaient jamais évoqués », témoigne le Pr Éric Serra. En cause : une probable méconnaissance de ces thérapies.
Certes, « la plupart des professionnels de santé se disent ouverts lorsque des preuves d’efficacité existent », encourage Mathilde Pasko. Mais ces données ne sont pas aisément accessibles. D’autant que la confusion avec les applications de bien-être persiste ; l’appellation « DTx » n’est pas contrôlée et aucun document officiel ne recense les véritables DTx. À noter que si les autorités sanitaires ont décidé de référencer sur Mon Espace Santé les applications répondant à dix critères de sécurité et d’éthique, la démarche ne concerne pour l'heure aucune thérapie digitale.
En outre, certains prescripteurs expriment leur crainte de perdre le recueil et le suivi de l’information médicale. « On voit parfois des patients suivis par un dispositif sans que le médecin traitant soit dans la boucle », regrette le Dr Pierre de Bremond d’Ars, généraliste membre du Collège de la médecine générale (CMG), qui souhaite qu’un « parcours numérique » des patients soit précisé.
L’acceptabilité du public à l'égard de ces thérapies pose aussi question. Même si les DTx sont tenus de respecter le RGPD, les patients s'inquiètent d'une possible fuite de données vers « les employeurs, assurances et banques », souligne Arthur Dauphin, pharmacien chargé de mission numérique en santé à France Assos Santé. La peur « d’être perçu comme une série de chiffres » anime un autre épouvantail, celui de la déshumanisation des soins. « Si une minorité de patients maîtrise le numérique, une fracture persiste avec une large part de la population, moins à l’aise, et une petite frange de citoyens très réfractaires, ou ne possédant ni smartphone ni adresse mail, analyse Arthur Dauphin, qui pointe également une difficulté générale à reconnaître les dispositifs numériques dignes de confiance. »
Accompagner, conseiller, voire prescrire au comptoir
D’où, là encore, une demande de référencement… et de conseils de la part de professionnels de santé, parmi lesquels les plus accessibles sont les pharmaciens. Au-delà d'une " éducation " aux DTx, la profession pourrait proposer un accompagnement des patients. Plusieurs prestataires de soins spécialisés en DTx misent ainsi sur les officinaux. C’est le cas de la société Timkl, qui intervient auprès d’utilisateurs de Diabeloop, et propose aux pharmaciens de s’entretenir quelques minutes – valorisées financièrement – avec les patients puis « d’entrer certaines informations sur une plateforme de télésurveillance ». « L'objectif est de proposer une écoute humaine alors que les boucles fermées hybrides sont susceptibles d'augmenter la solitude des patients », avance Valentine Paluel, responsable de la communication de Timkl.
Les officinaux pourraient également intervenir dans la mise à disposition de DTx, par exemple, en « délivrant des cartes et codes d’accès nécessaires au remboursement » après présentation d’une ordonnance, imagine Geoffrey Kretz. Et rien n’exclut la possibilité de proposer au comptoir certaines DTx. « Il n’est (pour l’heure) pas prévu que les pharmaciens puissent (en) prescrire, mais c’est une question que l’on doit se poser », juge Stéphane Tholander, cofondateurs d’Agora Health et de la Task Force sur les DTx de France Biotech. La délivrance de DTx « conseils », sans ordonnance pourrait être une option. « Attention toutefois à ce que le coût reste supportable par les patients », alerte Arthur Dauphin.
Au total, si un jour les DTx se démocratisent – ce qui n’est pas tout à fait assuré –, le rôle des pharmaciens demeure à écrire. L'avenir pourrait alors être aux rêveurs amateurs de nouvelles technologies et à ceux qui se documentent, la profession se révélant « encore moins acculturée que les médecins aux enjeux des DTx », regrette Stéphane Tholander sur la base de résultats préliminaires d’une enquête conduite notamment par France Biotech. Pourtant, comme tous les médicaments, les médicaments numériques devraient être affaire de pharmacien.