80 % des inscrits à l'Ordre des pharmaciens relèvent des sections A et D. Une attirance massive pour l'officine qu'explique facilement une population particulière de pharmaciens, celle qui a choisi de rejoindre la croix verte après avoir exercé dans l'industrie ou la répartition. Chloé Salvi a expérimenté les deux filières avant de se retrouver derrière le comptoir. « J'ai toujours su que je finirais par m'installer mais je voulais expérimenter d'autres métiers avant. » Tout juste diplômée, après une dernière année passée en master de marketing à HEC, elle se lance sur le marché du travail. C'est dans la répartition qu'elle fera ses premiers pas, avant d'intégrer la distribution de gaz médicaux. Des milieux très différents où elle exerce à chaque fois en tant que commerciale. « Au bout d'un moment, la politique de l'entreprise a commencé à me peser et je me suis aperçue que mon activité manquait de sens. Je passais beaucoup de temps sur la route mais, au final, je ne rencontrais aucun patient, je ne soignais pas. » L'envie de renouer avec l'officine, qu'elle avait connue pour y avoir travaillé pendant ses études, se fait alors sentir.
Retrouver du sens
Quand l'opportunité de s'installer se présente, il faut, dans un premier temps, se réapproprier les connaissances et se familiariser avec une pratique officinale approchée il y a plus de 8 ans. C'est en tant qu'adjointe mais dans le cadre d'un stage - 4 mois, puis 2 mois - que Chloé va retrouver les bases du métier. « Au début, je ne me sentais pas légitime, je n'étais pas sereine. » Elle replonge dans ses livres et ses cours d'étudiante, passe un DU à la faculté. « Il y a de nombreuses connaissances à avoir autour du médicament, de la réglementation à l'officine. Le métier de pharmacien a beaucoup évolué, il est devenu plus complexe. » Malgré les difficultés de l'exercice quotidien, elle retrouve les patients, leur contact avec grand plaisir. « C'est une satisfaction d'exercer à l'officine et la patientèle a vraiment besoin de nous… »
Sophie, pour sa part, a tout de suite visé l'industrie une fois diplômée. Connaître le dynamisme d'une grande structure, évoluer dans un contexte international, élaborer la stratégie de développement d'un médicament la motivait particulièrement. Dans cet objectif, elle entreprend un master à l'ESSEC et trouve rapidement du travail au sein d'un laboratoire. Pendant 9 ans, elle se consacre à la stratégie marketing, au développement des ventes, à la formation des collaborateurs… Jusqu'à ce qu'elle remette tout en question. « J'investissais beaucoup d'énergie dans ce que je faisais mais je n'y trouvais plus de sens, je ne me voyais pas évoluer dans la hiérarchie. »
L'envie de s'engager plus concrètement au service du soin, de se rapprocher des patients et de travailler pour sa propre entreprise prend le dessus. Le besoin de retrouver sa région natale, autour de Marseille, renforce aussi sa décision. Et ici, le maillage territorial qu'offre l'officine et la recherche grandissante d'adjoints au sein des équipes jouent clairement en faveur des candidats à la reconversion. Reste à remettre à niveau ses connaissances. Sophie se tourne vers la faculté, trouve des manuels d'enseignement et se forme, en parallèle, en intégrant une pharmacie en tant qu'adjointe. « Un univers radicalement différent de ce que je connaissais s'ouvre alors à moi. Fini les parts de marché, les chiffres de développement et les résultats, j'évolue au sein d'une petite équipe au contact direct des patients. » Tout un public dont elle assure le suivi et auprès duquel elle peut évaluer les solutions de santé qu'elle propose.
Se former à nouveau
Pour Frédéric Aula qui a créé la plateforme d'emploi Club Officine dédié à tous les métiers de la pharmacie, la plus grande part des demandes de reconversion au sein de la filière concerne des pharmaciens issus de l'industrie qui veulent rejoindre l'officine. « Souvent ils cherchent un contexte de travail moins stressant que celui imposé par les laboratoires. Mais la reconversion vers l'officine nécessite de remettre à jour ses connaissances car le métier d'adjoint et l'univers officinal sont bien spécifiques. » Meryem Bouhenache ne dira pas le contraire. Après 5 ans passés dans l'industrie à des postes de management et gestion de la qualité, cette pharmacienne décide de se réorienter vers l'officine pour renouer avec l'accompagnement du patient, le conseil thérapeutique et retrouver l'émulation du travail en équipe. Après s'être renseignée, elle constate que son projet demande une mise à jour de ses connaissances dans des domaines multiples, médicaments, logiciels, facturation, délivrance… Et ce bien qu'elle ait acquis une certaine expérience du comptoir pendant ses études.
Pour effectuer ses révisions, Meryem se procure un guide pratique des étudiants en pharmacie auprès de la corporation de Paris V. « Ça m'a beaucoup aidée car l'ouvrage aborde les différentes situations auxquelles on peut être confronté au comptoir, petites pathologies, posologies, exemples types de conseil, comment cibler la bonne thérapie… » Elle attend la fin de son CDD dans l'industrie, pose quelques vacances d'été et trouve dès septembre une pharmacie pour l'accueillir. « Je lisais le guide tous les jours dans le métro et, à l'aide du Vidal, j'ai fait la transition très vite. » Ensuite, elle enchaîne les CDD de 1 à 3 mois dans différentes officines pour engranger un maximum d'expérience et finit sa période d'apprentissage par de l'intérim. « J'ai pris tout mon temps pour être totalement opérationnelle, tant sur le médicament qu'en termes de management car, au final, je voulais gérer ma propre équipe à la tête d'une officine. »
Aujourd'hui, Meryem Bouhenache est titulaire, mais elle a mis à profit sa propre expérience et sa conscience des besoins qu'engendre un projet de reconversion en devenant membre de la commission des nouveaux inscrits du Conseil de l'Ordre. « Cette commission a été créée en début d'année afin de faciliter les reconversions d'une filière de la pharmacie à l'autre. » Des outils* - fiches pratiques, présentation des métiers sur vidéos - sont actuellement développés pour renseigner sur les démarches à suivre et répondre à toutes les questions que peuvent se poser les pharmaciens en transition. « Beaucoup ne savent pas qu'il est possible de changer de métier tout en restant un pharmacien. Nous ne voulons pas que ces confrères et consœurs quittent la filière en pensant trouver leur voie ailleurs. De multiples possibilités de carrières existent simplement en changeant de section. La profession a besoin de tous ses pharmaciens. »
* https://www.ordre.pharmacien.fr/l-ordre/l-institution/commission-nouvea…