Avec 37 % des inscriptions à l'Ordre des pharmaciens, la section D (des adjoints et autres exercices) concentre le plus grand nombre de pharmaciens en exercice. Pourtant, cette population discrète reste en marge des consultations et des négociations qui contribuent à l'évolution de la profession.
Les titulaires décident, les étudiants proposent… Et les adjoints ?
Dans les tables rondes et les conférences, dans les échanges avec le ministère ou dans les négociations avec l'assurance-maladie… le constat est flagrant : les adjoints ne sont pas représentés. En France, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, les syndicats patronaux et l'ANEPF (association nationale des étudiants en pharmacie de France) sont les principaux interlocuteurs des pouvoirs publics et des décideurs politiques. De même, sur le terrain, les URPS qui imaginent les missions de demain n'incluent par définition que les professionnels de santé libéraux. « Les propositions des syndicats patronaux sont positives, mais elles sont principalement destinées à défendre les intérêts économiques de l’officine. Une représentation des pharmaciens non titulaires permettrait de contrebalancer cet aspect purement financier et d'imaginer une intervention du pharmacien dans toute la chaîne des soins ambulatoires », observe Thomas Petit, jeune pharmacien adjoint diplômé de 2018.
Le CPAOF ouvre la voie pour donner de la voix.
Cette absence de représentativité a été particulièrement visible après le cafouillage concernant l'intervention et la rémunération des adjoints en centres de vaccination Covid. « Il manque une organisation représentative qui ne soit ni dans une ligne syndicale, ni dans une ligne ordinale. Une organisation qui regroupe et porte la voix des pharmaciens de ville non titulaires, et qui défende leurs propositions lors des grands rendez-vous en lien avec la profession et la santé publique », confirme Lydwin Hounkanlin, pharmacien adjoint et conseiller suppléant ordinal. En réalité, cette organisation existe en France depuis quelques mois. Baptisée CPAOF (collectif des pharmaciens adjoints d’officine de France), cette association est née en 2021 de la volonté d'une poignée d'adjoints. « Pour le moment, l'association est au stade d’organisation et nous développons les contacts pour être identifiés par les partenaires déjà en place. D'ailleurs, les syndicats patronaux ont bien accueilli cette initiative. Notre objectif maintenant est de nous faire connaître auprès des adjoints qui veulent participer à ce mouvement, d'où la création d'un site Internet (cpaof.fr) », explique sa présidente, Catherine Lobgeois-Maitre. Une des premières actions du CPAOF a été d’intégrer le CPOPH (conseil national professionnel – pharmacie d’officine, pharmacie hospitalière) pour y représenter les adjoints et participer, entre autres, à la définition des orientations prioritaires dans le cadre du DPC (développement professionnel continu). « La défense des intérêts des salariés et du droit social reste sous la responsabilité des syndicats de salariés. Le CPAOF a plus vocation à intervenir dans les concertations et les discussions sur l'avenir de la profession et sur la place et le statut des adjoints dans l’organisation sanitaire. »
L’exemple du Québec.
Les fondateurs du CPAOF se sont notamment inspirés de l'expérience québécoise ; outre-Atlantique, l’APPSQ (association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec) représente les pharmaciens non-propriétaires. « Notre association représente les salariés (en majorité des salariés de pharmacies communautaires) dans toutes les consultations et décisions relatives au système de santé, sauf pour les négociations des tarifs des actes de distribution et des actes cliniques », explique son président Patrick Hémery. L’association compte aujourd’hui 700 membres et constitue une force de proposition. En 2021, elle a été à l’origine d’un amendement permettant aux pharmaciens de modifier la prescription d’un antibiotique dans certaines situations : « Si un pharmacien ne peut pas délivrer l’antibiotique prescrit au patient, pour une raison X ou Y, et que le prescripteur est injoignable, cet amendement lui permet de délivrer un autre antibiotique en adaptant la dose. C’est une situation régulièrement rencontrée, en particulier le week-end, et cet amendement, outre de valoriser l’intervention du pharmacien, permet de rendre service au patient. »
Une volonté d'émancipation.
À ce besoin naissant de représentativité, se mêle un mouvement d’émancipation des pharmaciens salariés vis-à-vis de l'officine, quitte à offrir leur expertise à d'autres structures sur le modèle des GMF (voir encadré) au Québec : « Si la pharmacie reste centrée sur l’officine, d’autres professions comme les infirmiers de pratiques avancées, risquent de s’emparer de l’expertise du médicament », alerte Thomas Petit. En 2020, un collectif de sept pharmaciens (titulaires, adjoints, universitaires) a proposé une expérimentation nationale dans le cadre de l’article 51, mettant en avant l’intervention d’un pharmacien pour réaliser des revues de médication : « l’idée était d'intégrer un pharmacien ressource au sein d'une équipe coordonnée en soins primaires, non rattaché à une officine. Ses missions comprenaient notamment l'accompagnement des pharmaciens d'officine dans la réalisation des bilans partagés de médication, la revue des prescriptions (cohérence, sécurité) des ordonnances, ou encore un rôle d'expert auprès des autres professionnels pour toutes les questions relatives au médicament », explique Sophie Logerot, une des pharmaciennes à l'initiative du projet. Le projet a été retoqué par certains représentants de la profession, y voyant une redondance, voire une concurrence avec l’activité officinale plutôt qu'une synergie. Mais alors que l'organisation sanitaire mise sur des nouveaux métiers de santé tels que l'infirmier de pratique avancée ou l'assistant médical, le métier de pharmacien de ville doit-il rester confiné à l'officine ? La voix de la jeune CPAOF comptera largement dans ce nouveau débat au sein de la profession.