Un œil informatique pour traquer les fausses ordonnances

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Publié le 28/09/2023
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Traiter le fléau de la fraude aux ordonnances grâce à un outil de détection automatisé assisté par l'IA et intégré au LGO, telle est l'idée originale développée par Phealing, start-up spécialisée dans l'analyse des prescriptions et l'aide à la dispensation. Thibault Ozenne, co-fondateur de l'application, explique ses principes de fonctionnement et les bénéfices que peuvent en attendre les pharmaciens.

Ozenne thibaud

Thibault Ozenne : « Notre solution vérifie différents points de contrôle en autonomie ou sur la base de cas déjà identifiés »
Crédit photo : DR

Le Quotidien du pharmacien.- Quel constat vous a décidé à travailler à la mise au point d’un système capable de détecter les ordonnances falsifiées ?

Thibault Ozenne.- Dès le démarrage nous avons pensé que Phealing pouvait apporter une réponse opérationnelle aux problématiques des équipes officinales. La fraude sur ordonnance représente un véritable fléau en officine à travers la falsification d’ordonnances, mais aussi le nomadisme des patients. Plusieurs centaines de fausses ordonnances circulent tous les jours en France, ces tentatives de fraude sont orchestrées aussi bien par des individus isolés que par des réseaux organisés et mobiles.

Malheureusement, aujourd’hui une infime proportion des fraudes est détectée au comptoir, le canal utilisé pour en informer les officines est le mail… Or, 90 % d’entre eux ne sont pas lus ou sont oubliés. L’efficacité des moyens mis en place est donc très limitée, les titulaires d’officines sont dépourvus d’outil pour faire face à ce phénomène qui représente un préjudice financier important pour l’assurance-maladie et l’officine mais aussi un risque de pénurie des traitements pour certains patients atteints de pathologies graves (anticancéreux oraux, antidiabétiques…). Une situation qui s'est récemment présentée avec Ozempic.

Comment résumer les principes de fonctionnement de votre outil de détection des fausses prescriptions ? Comment s’intègre-t-il aux LGO en place ?

Depuis quelques années nous proposons une aide à la détection d’erreurs de dispensations à travers une analyse pharmacologique poussée et instantanée au comptoir. Plus récemment, nous avons intégré ce système de contrôle réglementaire, voire législatif de l’ordonnance : à la délivrance de l’ordonnance sur le LGO, notre solution vient vérifier différents points de contrôle en autonomie ou sur la base de cas déjà identifiés afin de vérifier la cohérence et l’authenticité de l’ordonnance.

Si on détecte une ordonnance suspecte, le pharmacien ou le préparateur est alerté dans la seconde !

Pour lutter efficacement face à ce genre de phénomène, le rapprochement entre industriels éditeurs et start-up me semble dans l’intérêt de tous. Les éditeurs de LGO maîtrisent la gestion de la dispensation et nous, nous disposons dans la technologie. Certains acteurs du LGO ont effectivement été très réceptifs à nos sollicitations et aujourd’hui nous collaborons avec eux, pour les autres j’espère que cela arrivera prochainement.

Quelles validations avez-vous obtenu auprès des instances sanitaires et de l’Ordre des pharmaciens ?

Nous avons discuté du sujet avec une multitude d’acteurs concernés, l’assurance-maladie évidemment, mais aussi avec l’Ordre des pharmaciens, les syndicats, certains parlementaires engagés sur ces sujets, les forces de l’ordre aussi très impliquées, car derrière une fausse ordonnance se cache très souvent un trafic de médicaments remboursés par l’assurance-maladie et revendu à des prix exorbitants.

Pour le moment nous n’avons pas obtenu de validation à proprement parler, mais nous avançons sérieusement dans les discussions avec certains pour accélérer ce projet.

Lorsque la prescription électronique sera généralisée en France, votre outil aura-t-il encore un intérêt ? Et si oui, dans quelles circonstances ?

Je crois que nous attendons tous l’arrivée de la prescription électronique qui apportera une sécurité supplémentaire ! En revanche, il faudra attendre un déploiement généralisé à la ville et à l’hôpital… les réseaux organisés sont malins et ciblent généralement les prescriptions hospitalières ou de télémédecine. D’ici là, Phealing a le temps de faire économiser des milliers de remboursements indus !

Donnez-vous des conseils aux pharmaciens (guide ou formation sur la conduite à tenir) pour gérer en direct le refus de délivrance en cas de détection de faux ?

Ce phénomène de fraude nécessite d’être pris en compte au plus tôt et notre solution est un véritable rempart à sa propagation au comptoir de l'officine. L’IA permet de passer d’un regard « échantillonné » à un contrôle exhaustif en un temps record et d’allouer ce temps gagné à plus de profondeur dans l’analyse. La notion de « risque de non-détection » est importante, la technologie permet de le réduire considérablement, mais il sera toujours présent. Il ne faut pas basculer dans l’excès : Phealing ou toute autre IA médicale sur le marché, doit rester un regard indépendant associé à celui du pharmacien.

Le sujet des incivilités voire des agressions liées à un refus de délivrance est un risque à prendre en considération. Par exemple, certains pharmaciens justifient le refus en mettant en cause la disponibilité du produit afin de s’éviter des excès d’humeur.

 

Propos recueillis par Didier Doukhan

Source : Le Quotidien du Pharmacien