Que ce soit dans le traitement du diabète avec Mounjaro (tirzépatide), Ozempic (sémaglutide), Trulicity (dulaglutide) et Victoza (liraglutide) ; ou de l’obésité avec encore Mounjaro (tirzépatide) et Wegovy (sémaglutide) et Saxenda (liraglutide), les analogues du GLP-1 occupent aujourd’hui le devant de la scène. Ces médicaments, initialement développés dans le diabète de type 2, sont désormais aussi indiqués en cas d’obésité sévère, car ils ont montré qu’ils pouvaient entraîner une perte de poids importante, pouvant dépasser les 15 % du poids initial.
L’efficacité remarquable de ces spécialités pour perdre du poids attise néanmoins les convoitises. « Les cas de mésusages avec les anti-obésité sont avérés, notamment le détournement à des fins esthétiques par des personnes pour qui ces traitements ne sont pas indiqués, c'est-à-dire qui ne sont pas en situation d’obésité, ni de surpoids avec comorbidités liées au poids », a alerté l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), en ajoutant que cela peut « exposer à des effets indésirables parfois graves ».
Les GLP-1 indiqués dans le diabète ont également été détournés de leur indication. En janvier, l’assurance-maladie a noté avoir constaté, avec l’influence des réseaux sociaux notamment, « des prises en charge hors indications remboursables, alors même que des tensions d’approvisionnement existaient. Pour une part des patients, la prescription concernait le diabète mais n’entrait pas dans le champ du remboursement. Une autre part relevait d’un mésusage, chez des patients non diabétiques : ils représentaient 1,2 % des utilisateurs d’Ozempic sur les 12 derniers mois (à fin janvier 2024), soit 4 404 patients », a rapporté l’organisme payeur.
Pour éviter ces dérives, plusieurs mesures ont été mises en place. D’une part, pour les analogues du GLP-1 antidiabétiques : depuis le 1er février 2024, leur prescription doit être accompagnée d’un formulaire médical justifiant le respect de l’AMM pour ouvrir droit au remboursement. Une phase transitoire jusqu’au 1er septembre permet néanmoins la délivrance sans tiers payant en l’absence de formulaire.
D’autre part, pour les traitements anti-obésité : au départ, leur prescription initiale était réservée aux spécialistes (en endocrinologie, diabétologie, nutrition), avec renouvellement possible par le généraliste, et dans un champ plus restreint que celui l’AMM (patients avec un IMC supérieur ou égal à 35, de moins de 65 ans). Depuis le 23 juin, tout médecin peut désormais initier ou renouveler une prescription, cette fois-ci dans les indications de l’AMM, (patients avec un IMC supérieur ou égal à 30, ou un IMC de 27 à 30 en présence de comorbidités).
Surveillance renforcée
Sur le plan de la sécurité, ces médicaments sont sous surveillance renforcée et de nouvelles alertes ont récemment émergé. En juin, l’Agence européenne du médicament (EMA) a signalé un risque rare de neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIAN), imposant l’arrêt du traitement. L’agence britannique du médicament évoque quant à elle des interactions médicamenteuses avec les contraceptifs oraux, en particulier avec Mounjaro. Elle incite ainsi les femmes sous contraception orale à recourir à une contraception double (orale + préservatif par exemple) 4 semaines après l’introduction du traitement ou une augmentation de la dose. « La perte de poids pourrait modifier la distribution de certains médicaments, et le ralentissement du bol alimentaire, leur absorption », explique Jean-Luc Faillie, professeur de pharmacologie médicale et de toxicologie au CHU de Montpellier et responsable du suivi national de pharmacovigilance des analogues du GLP-1 auprès de l’ANSM. Il juge toutefois que davantage de données de vie réelle sont requises avant de conclure.
Côté efficacité, « on est désormais sûr que ces médicaments réduisent la mortalité et la morbidité dans le diabète, et permettent de diminuer le poids corporel », résume le Dr François Montastruc, médecin pharmacologue au CHU de Toulouse, qui confirme aussi un effet différencié en fonction des médicaments. Selon lui, « le sémaglutide fait mieux que ses prédécesseurs ». Ce que confirme Blandine Gatta-Cherifi, professeur d’endocrinologie et responsable du centre de référence obésité du CHU de Bordeaux. « Dans les études cliniques, le sémaglutide s’est montré associé à une perte de plus de 5 % du poids corporel chez 80 % des participants, de plus de 10 % du poids corporel chez 70 % des participants, et même de plus de 15 % du poids corporel chez 50 % des participants. » Le tirzépatide, agoniste du GLP-1 mais aussi du GIP, semble encore plus performant.
Un inconvénient : l’arrêt du traitement est souvent suivi d’un regain pondéral. Le Pr Gatta-Cherifi relativise : « C’est comme l’arrêt d’un traitement antihypertenseur : la tension remonte. Personne ne s’en offusque. »
Dans la littérature, les effets sur des comorbidités de l’obésité se précisent. « L’étude SELECT a montré chez des personnes ayant déjà manifesté un évènement cardiovasculaire une réduction de 20 % du risque de nouvel événement avec le sémaglutide », rapporte le Pr Gatta-Cherifi. Toutefois, l’impact à long terme des autres molécules reste à évaluer, notamment pour le tirzépatide.
Des bénéfices sont aussi explorés dans d’autres pathologies : stéatose hépatique non alcoolique (NASH), maladie de Parkinson ou Alzheimer. Mais les données cliniques restent insuffisantes. Par ailleurs, une publication de la revue « Nature » suggère des bénéfices dans 42 maladies – de la sphère respiratoire à l’addictologie en passant par certaines pathologies dysimmunitaires ou cancéreuses, mais elle comporte des biais importants.
Côté tolérance, les effets indésirables les plus fréquents sont peu graves : réaction au site d’injection, fatigue, tachycardie, chute de cheveux, modifications du tissu adipeux du visage (« Ozempic face »). Toutefois, les troubles digestifs (nausées, vomissements, reflux, constipation) se révèlent difficiles à gérer en pratique. « Ils sont responsables de 10 % d’abandons de traitement. Ils peuvent durer plusieurs jours après chaque injection hebdomadaire et occasionner des passages aux urgences », regrette le Pr Faillie.
On observe aussi des hypoglycémies, qui ne sont pas liées à une surproduction d’insuline, mais plutôt à une diminution des apports alimentaires. « Cependant, ces médicaments ne provoquent pas directement de sécrétion d’insuline : les hypoglycémies qui ont pu être décrites apparaissent plutôt liées à la diminution des apports alimentaires », nuance le Pr Faillie. D’autres risques indirects incluent la sarcopénie et les carences vitaminiques, associés à toute perte de poids majeure. D’où « la nécessité d’une supplémentation adaptée, comme après une chirurgie bariatrique », recommande le Pr Gatta-Cherifi.
Quelques effets rares mais graves
Il existe aussi des effets indésirables plus rares mais aussi plus graves. Certains, préalablement décrits chez les patients diabétiques, étaient déjà attendus : comme des allergies graves, angiocholites, lithiases biliaires et cholécystites, occlusions intestinales ou gastroparésies. Mais de nouveaux signaux apparaissent, notamment un possible surrisque de cancer thyroïdien, jusqu’ici jugé peu probable sur la base des données animales. Deux publications récentes remettent cette hypothèse en question, incitant les autorités américaines à déconseiller ces médicaments en cas d’antécédent thyroïdien.
L’an dernier, des alertes concernant des cas de suicide ont aussi été examinées, rappelant « le trauma du rimonabant, anorexigène retiré du marché à la fin des années 2000 après des suicides de patients », se souvient le Pr Faillie. Mais les agonistes des incrétines semblent disculpés. « La perte de poids, quelle que soit la méthode employée, est souvent elle-même associée à une augmentation du risque de dépression », explique le Pr Gatta-Cherifi.
Finalement, le rapport bénéfices/risques des analogues du GLP-1 doit continuer d’être surveillé de près, tant à l’échelle collective qu’individuelle. Ils nécessitent un suivi régulier, comme tout traitement chronique. Mais ils marquent une étape majeure : « L’obésité devient enfin une maladie chronique à part entière, qui n’a rien à voir avec un manque de volonté des patients, et pour laquelle on dispose désormais de médicaments efficaces », se félicite le Pr Gatta-Cherifi. La prise en charge multidisciplinaire s’impose plus que jamais.
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