Depuis de longues semaines, le masque peinait à trouver sa place au cœur d'une actualité désormais focalisée sur la mise en œuvre de la campagne vaccinale.
C'était avant que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), préoccupé par l'émergence des nouveaux variants du SARS-CoV-2, ne décide de s'exprimer par la voix du Pr Lepelletier. Le coprésident du groupe de travail Covid-19 du HCSP veut mettre au placard les masques en tissu les moins performants. Il conseille en effet au ministère de la Santé de ne plus recommander « les masques de catégorie 2 (70 % de filtration) qui filtrent moins bien, ni les masques fabriqués de manière artisanale, dont le niveau de performance ne fait l'objet d'aucun contrôle ».
De l'autre côté du Rhin, la propagation du variant britannique du coronavirus conduit également les autorités sanitaires à revoir leur position sur le type de masque utilisé en population générale. Dans les transports en commun, les commerces ou les entreprises, les FFP2 et chirurgicaux sont désormais obligatoires et 34 millions d'Allemands s'apprêtent à recevoir des bons d'assurance-maladie pour s'équiper.
En France, Olivier Véran finit par annoncer, le 21 janvier, qu'il a décidé de suivre à la lettre l'avis du HCSP. « Je recommande aux Français de ne plus utiliser le masque artisanal qu'on fabrique chez soi », ni ceux de catégorie 2. Dans l'espace public en France, trois types de masques seulement sont désormais autorisés : FFP2, chirurgicaux et masques en tissu de catégorie 1.
Ruée sur les masques FFP2
Cette nouvelle donne n'a pas échappé à la vigilance des patients, comme ont pu le constater les officinaux ces derniers jours. Depuis son comptoir à Blagnac, en Haute-Garonne, Laurent Filoche, président de l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO), en témoigne : « Nous avons été dévalisés en masque FFP2. On a observé le même phénomène que pour le masque pour enfants lorsqu'il a été décidé de le rendre obligatoire à l'école pour les plus de 6 ans. Nos fournisseurs vont vite être en rupture de stock, il risque d'être difficile de s'approvisionner en FFP2 pendant les deux prochaines semaines. » Quasi exclusivement fabriqués en Chine, les masques FFP2 font de plus l'objet d'une très forte demande dans leur pays de production alors que le Nouvel an chinois approche à grand pas (il sera célébré le 12 février).
Malgré les tensions d'approvisionnement à prévoir, le FFP2 a-t-il une chance de se démocratiser ? « Selon moi ce sera un feu de paille, rétorque Laurent Filoche. Le masque FFP2 est très inconfortable, les pharmaciens qui le portent pendant des heures pour réaliser les tests antigéniques sont bien placés pour en parler. Il est donc probable que les Français qui en ont acheté reviennent vite vers les masques chirurgicaux. Ou deviendront plus exigeants sur la qualité et se tourneront vers les modèles les plus performants, en particulier ceux ayant la norme IIR », pressent Laurent Filoche.
Le président de l'UDGPO n'est en revanche pas très optimiste quant à l'avenir des masques en tissu. « J'ai toujours pensé qu'ils n'étaient qu'un pis-aller pour "masquer" la pénurie de chirurgicaux. Le volume de masques "grand public" vendus en pharmacie est d'ailleurs très faible. On a poussé des industriels à en produire en masse et ils se retrouvent désormais avec des surstocks énormes », fait-il remarquer. « Les patients ont entendu que les masques en tissu n'étaient plus conseillés, ils n'ont pas forcément conscience que ces recommandations visaient seulement les moins performants. Je pense que ce marché va s'écrouler », analyse Laurent Filoche.
Changer de discours sur les masques : un pari risqué
Le temps de la pénurie de masques chirurgicaux étant désormais derrière nous, est-il aujourd'hui nécessaire de privilégier les masques les plus performants, tant sur le plan individuel que collectif ? La saillie du Pr Lepelletier et les récentes décisions prises en Allemagne, n'ont pas convaincu de nombreux membres de la communauté scientifique, et c'est un euphémisme. « Je trouve les déclarations du HCSP regrettables car elles troublent le message principal que l'on a voulu faire passer avec le port du masque, dénonce ainsi le Pr Yves Buisson, épidémiologiste et président de la cellule Covid-19 de l'Académie nationale de médecine. En déconseillant le recours à certains masques en tissu, l’HCSP insiste surtout sur l'importance de "se protéger soi-même" en utilisant les masques les plus performants. Or l'essentiel c'est l'emploi anti-projections du masque, le fait qu'il empêche celui qui le porte de contaminer son entourage. Qu'un masque soit chirurgical ou en tissu importe peu, il doit avant tout stopper les postillons », développe le Pr Buisson.
Le Dr Martin Blachier, épidémiologiste et spécialiste en santé publique, juge aussi avec beaucoup de sévérité la prise de position du HCSP. « Cet avis est une boule puante pour le gouvernement et je lui conseille sincèrement de ne pas s'attarder sur cette question. Il est important de ne pas changer de message. Vouloir renforcer les gestes barrières parce qu'on a un nouveau variant qui est un peu plus contagieux, c'est une idée stupide. Si un masque est efficace contre une souche, il le sera contre une autre. »
Plutôt rappeler les bonnes consignes de port
Un changement de discours sur ces dispositifs serait un mauvais signal envoyé à l'opinion, estime également le Pr Buisson, en plus de n'avoir aucun effet sur la diffusion des nouveaux variants du SARS-CoV-2. « On brandit une crainte qui n'a pas lieu d'exister, dénonce-t-il. Il faut se protéger de ces nouveaux variants de la même manière qu'on l'a fait jusqu'à présent. Il faudrait plutôt veiller à rappeler les bonnes consignes, comme ne pas mettre son masque sous le nez, le changer régulièrement, éviter de parler trop fort quand on en porte un… », propose le Pr Buisson. « Je ne sais pas si la prise de position du HCSP s'inspire ou s'explique par ce qui se passe en Allemagne, mais les décisions prises là-bas ne me semblent pas appropriées. Je ne vois pas comment on pourrait réussir à faire porter un masque FFP2 à tout le monde », interroge le Pr Buisson. « Personne ne sait vraiment quoi faire face à ces nouveaux variants, tient à souligner Martin Blachier. Imposer les masques FFP2 ou chirurgicaux comme on le voit en Allemagne, c'est une mesure purement politique qui relève avant tout du principe de précaution. »
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