Il y a un an, la profession découvrait dans le PLFSS pour 2025 un amendement aussi radical que surprenant. Présenté par le député (Les Démocrates) du Rhône, Cyrille Isaac-Sibille, le texte proposait d’interdire purement et simplement « tout groupement, société coopérative ou réseau constitué entre officines ». Dans son exposé, l’élu, médecin otorhinolaryngologiste de formation, jugeait très sévèrement les groupements de pharmacie, structures auxquelles adhèrent aujourd’hui 94 % des titulaires. Accusés de « favoriser essentiellement les grandes officines au détriment des plus petites », de « menacer la diversité du tissu officinal », les groupements étaient de plus considérés comme « un maillon intermédiaire non nécessaire dans la chaîne de distribution (…) ne remplissant plus aucune fonction véritablement utile ». Stupéfaction, incompréhension, méconnaissance du rôle véritable des groupements, interrogations sur les réelles motivations du député… la profession avait pris position pour combattre ce texte, qui sera finalement jugé irrecevable. Un an plus tard, le député est revenu à la charge, avec un contenu toutefois bien différent.
Attaque contre les groupements, volume II
Dans le PLFSS pour 2026, un nouvel amendement très offensif contre les groupements a, en effet, été déposé par ce même député. Cette fois, le texte ne visait pas tous les groupements sans distinction mais ceux « exerçant une activité en lien direct ou indirect avec l’exploitation d’une ou plusieurs pharmacies d’officine lorsque la majorité du capital social et des droits de vote dans les organes délibérants n’appartient pas à des pharmaciens d’officine en exercice ». Le député estime que les groupements se trouvant dans cette situation devraient être interdits pour « restaurer une distribution pharmaceutique plus équitable et respectueuse des impératifs de santé publique ». En effet, une telle décision permettrait de garantir « l’indépendance économique et professionnelle des pharmaciens d’officine », défend Cyrille Isaac-Sibille, qui dénonce le fait que les groupements ne soient aujourd’hui soumis « à aucune régulation claire », ce qui permet « l’entrée de fonds de pension au capital de plusieurs groupements ». Selon le président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), Laurent Filoche, « au moins un quart des groupements » et même « environ 50 % d’entre eux » si l’on tient compte du nombre d’adhérents auraient potentiellement été concernés par cette mesure, sachant que l’on dénombre en France 300 groupements dont environ 50 présents au niveau national, les autres étant des groupements d’intérêt économique (GIE).
« J’ai voulu jeter un pavé dans la mare et je dois dire que cela a plutôt bien fonctionné
Cyrille Isaac-Sibille, médecin et député (Les Démocrates) du Rhône
L’argument de la lutte contre la financiarisation
Contacté par « Le Quotidien du pharmacien », Cyrille Isaac-Sibille revient d’abord sur ce qui l’a conduit à déposer ce premier amendement très radical il y a un an. « J’ai voulu jeter un pavé dans la mare et je dois dire que cela a plutôt bien fonctionné. Cela a permis d’ouvrir un débat sur un sujet auquel personne ne s’intéressait jusque-là, souligne tout d’abord le député. Toute la chaîne du médicament est régulée. On demande énormément d’efforts à cette filière, mais il y a un maillon qui curieusement n’est pas régulé justement, c’est celui des groupements. Ce n’est pas normal. On ne sait pas, par exemple, quelle marge les groupements réalisent sur le médicament, mais on entend des chiffres évoquant plusieurs centaines de millions d’euros. Concernant les remises, on voit qu’elles sont plus importantes pour les pharmacies qui réalisent un gros chiffre d’affaires alors que selon moi, cela devrait être l’inverse, ceci dans le but de protéger le maillage », rapporte-t-il.
Tous les pharmaciens ont besoin d’être épaulés, mais il faut que les groupements soient mieux contrôlés
Philippe Besset, président de la FSPF
Au cours de l’année écoulée, Cyrille Isaac-Sibille a pu s’entretenir avec différents acteurs de la profession, ce qui lui a tout de même permis de voir le sujet sous un autre angle. Il n’a plus de volonté aujourd’hui de supprimer tous les groupements, comme le prévoyait son amendement au PLFSS de 2025. « Il y a des groupements qui sont vertueux, ceux qui sont détenus par des pharmaciens. Ceux-là offrent véritablement des services aux officinaux et il n’est pas question de remettre cela en cause, concède-t-il, précisant avoir « une meilleure connaissance » du système aujourd’hui. « D’autres groupements en revanche ont leur capital social détenu par des acteurs extérieurs à la pharmacie, tels que des fonds de pension », dénonce-t-il. Le député a donc décidé de cibler ces cas particuliers cette année, même s’il admet ne pas pouvoir quantifier le nombre d’officines indirectement touchées. « D’où l’intérêt de creuser le sujet, complète l’élu. L’idée derrière cet amendement c’est de lutter contre la financiarisation de la santé, un problème qui touche déjà les établissements de santé, les radiologues, les cardiologues, les cabinets de dentistes… et que personne n’arrive à contrôler. Ce que je souhaite, c’est que les pharmaciens et les professionnels de santé soient maîtres de leur outil de travail », résume-t-il.
L’amendement au PLFSS de 2026 ne sera toutefois pas retenu non plus. Il sera jugé lui aussi irrecevable le 29 octobre après examen de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Bien qu’infructueux, ce texte permet toutefois de lancer un débat : celui de la régulation des groupements de pharmacies, sujet explosif qui divise les acteurs de la profession.
Les groupements sont des sociétés de service privées et les pharmaciens ont la liberté d’adhérer au groupement qu’ils veulent
Laurent Filoche, président de l’UDGPO
Un débat à ouvrir ?
Le contenu de cet amendement doit-il désormais nourrir une réflexion au sein de la profession ? Pour Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), la réponse est tranchée. « Non, cela ne soulève aucune question, répond-il. Les groupements sont des sociétés de service privées et les pharmaciens ont la liberté d’adhérer au groupement qu’ils veulent. Les groupements n’entrent pas au capital des officines. Il s’agit de droit privé, la France n’est pas l’URSS et l’État n’a donc pas à se mêler de ce sujet », estime-t-il. Président de Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseigne de pharmacies, Alain Grollaud avait tenu à réagir par un communiqué dès la publication de l’amendement. « Vengeance un an après ? Incompétence ? Compromission ? », interrogeait Federgy au sujet de cet amendement qualifié de « scandaleux et d’insensé ». « Il y a un mélange des genres, on confond tout. Ce député s’enferme dans son erreur. Un an après, il n’a toujours rien compris. Le capital des officines et celui des groupements, cela n’a rien à voir, tient à préciser Alain Grollaud. Federgy a toujours été contre la financiarisation des officines. Nous sommes prêts à travailler sur ce point avec les syndicats. Empêcher des tierces personnes d’entrer au capital des pharmacies c’est un sujet, mais qu’est-ce que cela a à voir avec le capital des groupements ? », demande-t-il de nouveau, révolté contre cette volonté d’interdire certaines des structures que son organisation défend.
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), juge au contraire le nouvel amendement de Cyrille Isaac-Sibille « intéressant, même s’il n’est pas parfait », résume-t-il. « Aujourd’hui, nous avons un problème, nous ne savons pas ce que sont les groupements. Quel est leur objet social ? À quelle forme de société appartiennent-ils ? Ils ne figurent pas dans le Code de la santé publique (CSP) alors qu’il faudrait qu’ils y soient selon moi. Quand on parle de médicament, on ne peut pas faire n’importe quoi ni laisser le business prendre le pas sur la santé. » Si Philippe Besset s’était opposé à l’amendement sans nuance qui avait été jugé irrecevable dans le PLFFS pour 2025, ce nouveau texte est donc perçu différemment. « Mieux réglementer les groupements, c’est un débat que nous devrons avoir et nous l’aborderons après l’enquête menée en ce moment par l’IGF et l’IGAS. Nous avons besoin des groupements. Tous les pharmaciens ont besoin d’être épaulés, mais il faut que les groupements soient mieux contrôlés », plaide-t-il.
c’est un texte qui a pour volonté d’empêcher des fonds ou des acteurs privés de s’enrichir aux dépens des remboursements assurés par la Sécurité sociale
Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
Les groupements sont aujourd’hui indispensables aux officinaux, ce que ne contredit pas non plus Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Nous avons besoin de leur force de négociation, de leur appui sur les achats, qui nous libère du temps pour faire notre travail. En revanche, hors de question de laisser certains d’entre eux s’enrichir sur le dos des pharmaciens, ni d’autres donner une mauvaise image des groupements parce qu’ils sont liés à des fonds de pension », avertit-il. Pierre-Olivier Variot porte lui aussi un regard plutôt positif sur cet amendement et les questions qu’il porte. « Attention tout de même à ne pas mettre tout le monde dans le même panier et englober des groupements, par exemple ceux adossés à des grossistes, qui ne sont pas problématiques, tempère-t-il. Au-delà de ça, c’est un texte qui a pour volonté d’empêcher des fonds ou des acteurs privés de s’enrichir aux dépens des remboursements assurés par la Sécurité sociale et cela, c’est une très bonne chose de le vouloir », précise-t-il. Comme il l’observe, une vraie réflexion anime aujourd’hui de nombreux groupements, avec en particulier l’envie pour certains « de se distinguer de ceux qui sont financiarisés. » Un travail de réflexion sur la régulation des groupements doit être enclenché, pense également le président de l’USPO.
Entre syndicats et représentants des groupements : un contexte plus que tendu
Représentants des groupements et présidents des syndicats représentatifs de la profession peuvent-ils envisager ensemble des évolutions sur l’organisation ou la structure financière des groupements ? « Une inscription des groupements dans le CSP me semble aujourd’hui impossible compte tenu des directives européennes en vigueur. Cela comporterait aussi un autre risque, celui de la question de l’ouverture du capital des pharmacies en France. L’Europe n’attend que ça », avertit premièrement Laurent Filoche, qui met en garde les syndicats sur les dangers qui guettent la profession si cette « boîte de Pandore » venait à être ouverte. « Aujourd’hui, la partie santé publique représente environ un quart de l’activité des groupements. Une régulation plus forte sur cette partie, pourquoi pas », concède de son côté Alain Grollaud, qui se dit en tout cas prêt à en discuter. « Le reste de l’activité des groupements, les trois quarts restant donc, la formation, le contrôle des factures, les négociations avec les laboratoires sur la parapharmacie ou l’OTC, c’est hors de ce champ », tient-il cependant à rappeler.
Les deux camps sont surtout engagés dans un bras de fer sur la vision même du métier et plus précisément sur le chantier de l’évolution du mode de rémunération du pharmacien (voire page 6). Un conflit qui se durcit et dont on ignore encore l’issue. « Lorsque l’on voit dans quel état les syndicats ont laissé l’économie officinale, je pense qu’ils ont d’autres sujets plus urgents à traiter que celui des groupements, tance Laurent Filoche. Le pouvoir est en train de leur échapper. Ce sont nous, les groupements, qui allons le prendre et cela, à cause de leur incapacité à réformer la pharmacie », prévient-il, faisant ici référence à la création imminente de l’Union des pharmacies groupées de France (UPGF), structure naissante qui entend réunir organisations et pharmaciens d’officine. Le ton est donné.
Représentation syndicale
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