Tendances & marchés

L’insatiable appétit du marché des compléments alimentaires oraux

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Publié le 23/01/2025
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La progression des ventes de compléments nutritionnels oraux se poursuit en pharmacie malgré le sous diagnostic de la dénutrition que certains experts pointent du doigt. L’observance des traitements reste cependant la problématique majeure dans ce secteur.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Sans surprise, c’est une nouvelle croissance qu’enregistre le rayon des produits de renutrition composé essentiellement de compléments nutritionnels oraux (CNO). Pour l’année 2024, au mois de novembre et sur un an, leurs ventes sont en progression d’environ 7 % en volume et en valeur (source IQVIA Pharmastat).

Cette tendance à la hausse, que nourrissent quatre principaux acteurs (Nestlé Health Science/Clinutren, Lactalis Nutrition Santé/Delical, Nutricia Nutrition Clinique/Fortimel-Cubitan, Fresenius Kabi/Fresubin), caractérise le marché depuis des années. Rien d’étonnant à cela si l’on considère les nombreux leviers qui le gouvernent, facteurs structurels en tête : « La population vieillit de façon importante avec, à l’horizon 2030, une tranche d’âge des 75 ans et plus en augmentation de 28 % selon l’Insee », indique Élodie Jeffredo, directrice marketing chez Lactalis Nutrition Santé. « Les besoins en termes de renutrition vont donc augmenter suite au vieillissement mais aussi sous l’effet des maladies chroniques ou dégénératives liées au grand âge ».

Une meilleure reconnaissance des signes de la dénutrition est par ailleurs encouragée par les pouvoirs publics face aux difficultés d’identification qui freinent parfois le diagnostic. Dans ce sens, la Haute Autorité de santé (HAS) propose des critères diagnostiques et des outils pour identifier la dénutrition chez les personnes de 70 ans et plus. Ces recommandations viennent s’ajouter aux différents dispositifs mis en place pour favoriser l’autonomie, le bien-être et la santé des personnes âgées (Programme National Nutrition Santé, loi du 8 avril 2024 sur le bien vieillir et l’autonomie*…). Le Collectif de lutte contre la dénutrition a, par ailleurs, dédié une semaine du mois de novembre à cette problématique qui touche particulièrement les aînés.

Reconnaissance et observance

Pour autant, les pouvoirs publics ont une position ambiguë face à la dénutrition, selon Élodie Jeffredo. « S’ils appellent à une meilleure reconnaissance des symptômes, ils alertent aussi sur les dépenses liées à la prescription des CNO. » Ces préparations HPHC (hyper-protéinées hyper-caloriques) qui appartiennent à la catégorie des DADFMS (Denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales) et délivrables sur ordonnance sont en effet prises en charge à 100 % par l’assurance-maladie.
Il faut considérer la question des dépenses de santé liées aux produits de renutrition, selon Aude Ragot, chef de gamme Nutrition orale chez Fresenius Kabi, mais il faut également dénoncer le manque de prise en charge dont souffrent les patients dénutris. « Toute consultation pour une pathologie devrait induire chez le médecin une recherche systématique des symptômes de la dénutrition », insiste-t-elle en soulignant le besoin de formation qui existe dans ce domaine. Les solutions pour favoriser la reprise calorique ne sont pas non plus sans poser de problème, principalement celui de l’observance, sujet crucial pour la personne dénutrie. « Ces traitements se font généralement sur le long terme à raison de deux prises par jour. Pour assurer l’observance, il faut que le patient soit autant que possible acteur de sa prise en charge. » À cet effet, la marque Fresubin a développé un site Internet (Fresubin et moi) voué à accompagner patients, aidants et professionnels de santé dans leur parcours. La gamme, qui mise également sur la diversité de son offre, a développé une boisson végétale, Fresubin Plant Based, à base de protéines de soja pour répondre à tous les profils de la demande. « Le marché est porté par les boissons lactées, qui occupent 50 % des ventes, et notamment les formules ultra concentrées en protéines et calories en hausse de 27 %. Les crèmes dessert, avec 27 % des parts et plus de 10 % de croissance, constituent l’autre segment fort du marché. » Les préparations salée, les céréales, biscuits, formules pour patients diabétiques mais aussi poudres épaississantes et produits spécifiques à la dysphagie viennent compléter l’offre en rayon.

Des biscuits pour l’avenir

Lactalis, sous la marque Delical, a lancé une sélection de soupes, de purées et de desserts lactés, il y a deux ans. Aujourd’hui, soucieux de varier les saveurs et de satisfaire la demande, le fabricant enrichit en lipides les formules de ses boissons sans sucre pour mieux répondre aux besoins des patients diabétiques. Respecter le plus possible les habitudes et les goûts de chacun, c’est également l’objectif poursuivi par Nestlé Health Science qui, sous sa marque Clinutren, a dernièrement opéré deux lancements : une boisson sans sucres ultra concentrée de 32 g de protéines/200 ml (Clinutren Ultra), enrichie en nutriments et ciblée sur les patients diabétiques ainsi que des galettes pur beurre Protibis en version sucrée et salée.
« Les biscuits sont les 3es contributeurs de croissance sur le marché », précise Emilie Haëntjens, chef de groupe Nutrition orale chez Nestlé. « Au fil des ans, le marché des CNO s’est considérablement diversifié amenant de la complexité dans la compréhension des gammes qui abritent plus de 400 références. Une situation qui contribue aux difficultés d’observance, un quart des patients n’allant pas au bout de leur traitement. » Pour simplifier la compréhension de son offre, Clinutren a développé un référentiel (le Protiscore) sous forme de code barres indiquant le niveau d’apport protéique de ses produits. 4 barres, soit environ 30 g de protéines, « correspondent à la complémentation protéique journalière minimale recommandée par la HAS en cas de dénutrition ». Nestlé Health Science a également créé un calculateur protéique, disponible au sein du programme en ligne Ma Renutrition Active, qui permet d’estimer si son alimentation est suffisamment riche en protéines.

* Loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie

Le chiffre

2 millions, c’est le nombre de personnes touchées par la dénutrition en France (Collectif de lutte contre la dénutrition).

Le marché des produits de renutrition*

46 907 527 unités vendues, +7,1%
437 697 409 euros, +6,8 %

*Alimentation entérale complète, suppléments nutritionnels, CMA à novembre 2024, (source IQVIA Pharmastat)

Principaux leaders du marché*

Lactalis Nutrition Santé : 30,4 %
Nestlé Health Science : 30,3 %
Nutricia Nutrition Clinique : 18,7 %
Fresenius Kabi : 18,6 %

*En valeur - CMA à novembre 2024 (source IQVIA Pharmastat)

Le leader à la loupe

En 2024, à l’occasion de la journée des aidants et de la semaine de la dénutrition, la marque Delical a organisé à l’officine des animations et des démonstrations de produits. La marque dispense également des formations via des cas comptoirs de patients et fait l’objet toute l’année de balisage en linéaire et de PLV.

Conseils d'expert…

Mélanie Oullion-Simon, diététicienne nutritionniste

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Le Quotidien du Pharmacien. – Quelle définition peut-on donner de la dénutrition ?
Mélanie Oullion-Simon. – Selon la HAS, « la dénutrition représente l’état d’un organisme en déséquilibre nutritionnel. Le déséquilibre nutritionnel est caractérisé par un bilan énergétique et/ou protéique négatif ». La dénutrition peut être liée à un déficit d’apport protéino-énergétique, une augmentation des dépenses énergétiques totales ou des pertes énergétiques et/ou protéiques. Chez la personne à partir de 70 ans, le diagnostic de dénutrition nécessite la présence d’au moins un critère phénotypique - perte de poids supérieure ou égale à 5 % en un mois, 10 % en 6 mois ou comparé au poids habituel, IMC inférieur à 22 kg/m², sarcopénie confirmée – et un critère étiologique – réduction de la prise alimentaire supérieure ou égale à 50 % pendant plus d’une semaine ou réduction des apports comparé à la consommation habituelle ou aux besoins protéino-énergétiques pendant plus de 2 semaines, absorption réduite ou situation pathologique.

Comment reconnaître les signes de la dénutrition au comptoir ?

Au comptoir, on peut déceler un problème de dénutrition en observant la personne (maigreur apparente) mais une polymédication ou le rapport poids/taille peuvent aussi alerter. Par ailleurs, différentes situations comportent un risque de dénutrition : traitement médicamenteux anorexigène, maladie neurodégénérative, troubles de la déglutition, restrictions alimentaires, appareil dentaire qui gène l'alimentation normale, chirurgie…

Comment augmenter l’apport calorique au quotidien ?

On peut enrichir tous les plats de beurre, huile, crème fraîche, fromage, sucre (sauf contre-indication) et y introduire des aliments tels que les fruits secs, graines, oléagineux. On peut débuter le repas par le plat principal, nutritionnellement plus riche, mais aussi fractionner les prises alimentaires dans la journée pour assurer un maximum des apports. Si l’alimentation ne suffit plus, on introduit des CNO entre les repas, plutôt sous forme de crèmes dessert plus faciles à consommer, ou ajoutés aux recettes. Le CNO doit correspondre aux goûts du patient afin de favoriser l’observance. Enfin, parce qu’une personne dénutrie est aussi déshydratée, elle doit boire dans la journée 1,5 à 2 litres d’eau riche en minéraux.

Propos recueillis par A.-S. P.

Anne-Sophie Pichard

Source : Le Quotidien du Pharmacien