Trois semaines après le cyclone Chido…

Électricité, Internet, médicaments… les pharmaciens de Mayotte manquent de tout

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Publié le 03/01/2025
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Mayotte, après le passage du cyclone Chido

Mayotte, après le passage du cyclone Chido
Crédit photo : DR

Trois semaines après le passage dévastateur du cyclone Chido, les pharmacies mahoraises font leur maximum pour prendre en charge la population malgré des difficultés toujours très importantes. Certaines officines ne sont toujours pas raccordées au réseau électrique, l’accès à Internet est limité et le manque de médicaments, notamment d’antibiotiques, empêche parfois de soigner au mieux les patients.

Dans la nuit du 2 au 3 janvier et toute la matinée suivante, la pluie est tombée en quantité sur l’archipel de Mayotte. « La pluie ruisselle dans certaines officines, témoigne Vincent Théodoly, dirigeant de Pharmar (La Réunion) et Copharmay (Mayotte), deux filiales du grossiste répartiteur CERP Bretagne Atlantique. Nous avions prévu des bâches. Elles partent dans les livraisons pour protéger les stocks des pharmaciens et du répartiteur. Cela semble sans fin. » Depuis la catastrophe, les acteurs de la chaîne pharmaceutique de l’archipel ne comptent plus les défis qu’ils ont à relever. « On s’organise comme on peut, des groupes électrogènes ont été donnés à des pharmaciens pour qu’ils puissent continuer à travailler, explique Vincent Théodoly. Les officines retrouvent peu à peu leur fonctionnement, la plupart ont réussi à reprendre, mais les problèmes liés à l’électricité et aux moyens de communication sont toujours difficiles à gérer. C’est notamment très compliqué pour la conservation des médicaments.  »

Des pharmacies toujours sans électricité

Difficile aujourd’hui d’établir un panorama précis de l’état des 27 pharmacies réparties sur le territoire mahorais. Installé depuis dix ans à Kawéni, Pierre-Emmanuel Ancenys estime que huit ou neuf pharmacies ne sont toujours pas raccordées au réseau aujourd’hui. « L'état des officines est encore très inégal. La mienne a eu la chance d'être relativement épargnée, mais d'autres ont été inondées, ont vu leurs toitures s’envoler… Ceux qui n’ont pas l’électricité travaillent parfois dans le noir, ils font tout au papier et au stylo, estiment les prix au jugé, n’ont aucun moyen de savoir si les patients qu’ils reçoivent sont à jour de leurs droits ou non. Une caisse de substitution a été mise en place en métropole pour reprendre les paiements pour les libéraux, Le problème financier est en train d'être résolu mais il faut être connecté à un réseau pour la télétransmission des flux, rappelle le pharmacien. Aujourd’hui, des grossistes saisissent encore des commandes à la main, c'est aussi atypique que chronophage. »

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Pierre-Emmanuel Ancenys et l’équipe de la pharmacie de Kawéni

Un besoin urgent d’antibiotiques et de produits pour désinfecter les plaies

Après une nouvelle longue journée de travail à la pharmacie, Pierre-Emmanuel Ancenys est rentré chez lui ce jeudi soir. Il n’est pas seul. Il héberge son adjoint, Riad Boudghene-Stambouli. La dernière barge qu’il emprunte pour rentrer chez lui, sur l’île de Petite-Terre, est partie avant l’heure de la fermeture de la pharmacie. Riad a travaillé jusqu’à 12 ou 13 heures par jour ces dernières semaines. Arrivé sur l’archipel l’année dernière, après un premier passage en 2022, il n’envisage pas de s’en aller, malgré les difficultés. « À cause du cyclone, nous avons dû renoncer à nos vacances, mettre de côté nos projets, nos familles… mais s'il ne reste que cent personnes ici, j'en ferai partie. Je me sens utile. On tient le coup avec le peu de moyens qu'on a. Cela fait 18 jours que je n’ai plus de courant chez moi, je ne peux pas bien m'alimenter. La chaleur est implacable, les moustiques commencent à proliférer. Chido va avoir des conséquences sur le long terme », prévient l’adjoint. Déjà confrontés à une épidémie de choléra en 2024, les habitants redoutent un retour de la maladie à cause de l’insalubrité de l’eau. « Depuis quelques jours on voit des enfants couverts de boutons, de pustules… », raconte l’officinal. Les premiers jours suivant la catastrophe, il a fallu aussi vivre dans l’attente d’avoir des nouvelles de certains de ses proches, de ses collaborateurs. « Nous sommes restés longtemps sans nouvelles d’un livreur de la Copharmay que nous connaissons. Il est venu à la pharmacie après six jours sans réponse, sa maison a été en partie abimée, son véhicule endommagé, mais sa famille et lui-même sont sains et saufs. » Selon ce que sait Pierre-Emmanuel Ancenys, aucun pharmacien ou membre d’une équipe officinale n’est décédé ou encore introuvable depuis Chido à Mayotte. Néanmoins, « on ne peut pas complètement l’affirmer », nuance-t-il.

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Ahamed, livreur de la Copharmay, est réapparu à la pharmacie de Kawéni après six jours sans pouvoir donner de nouvelles

Depuis le cyclone, la population tente tant bien que mal de panser ses plaies au sens propre comme au figuré. Éviter les infections est une priorité mais les médicaments manquent cruellement. « Nous avons un réel besoin d'antibiotiques, Augmentin et Pyostacine en priorité. Des formes adultes comme des formes pédiatriques, insiste Pierre-Emmanuel Ancenys. Les stocks des hôpitaux sont fragiles, Médecins sans Frontières et Médecins du Monde n'ont pas de PUI sur place. Les grossistes, eux, ont besoin en urgence d'être approvisionnés via un pont aérien, liste le titulaire. À cause du manque d’antibiotiques et de certaines molécules, j’ai peur que les structures publiques ne donnent qu’une partie du traitement au patient au départ. Le danger c’est que les patients ne reviennent pas ensuite parce qu’ils ont énormément de problèmes à gérer. » Au risque que la plaie ne s’infecte et que les médecins soient obligés d’en arriver à certaines décisions. Selon le titulaire de la pharmacie de Kawéni, de nombreuses amputations ont déjà dû être pratiquées sur l’archipel.

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Un comptoir improvisé dans une pharmacie mahoraise

Mayotte a besoin de pharmaciens et de préparateurs

Représentant des grossistes-répartiteurs, Vincent Théodoly constate lui aussi ces difficultés. « Le surplus de travail manuel accumulé est immense. Les livraisons depuis les entrepôts de répartition restent un défi. Les routes sont praticables mais les débris et autres endommagent les pneus, il y a parfois d’immenses embouteillages. Chacun malgré la fatigue exerce la pharmacie dans l’intérêt de la santé publique de l’île mais le retour à une activité normale reste encore long. La solidarité nationale nous encourage. » Du côté de Mayotte, on est en effet sensible à l’élan de générosité venu de la métropole. Pharmacie Humanitaire Internationale a lancé un appel aux dons (Urgence Mayotte) sur la plateforme Helloasso. Une cagnotte Leetchi a également été mise en place à l’initiative des syndicats de pharmaciens. Les plus de 9 000 euros récoltés vont premièrement permettre l’envoi de packs d’eau aux membres des équipes officinales mahoraises. Président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot s’active pour que d’autres solutions soient apportées à ses confrères de l’Océan Indien. « Nous avons demandé la possibilité pour les pharmaciens mahorais de facturer hors droits. Vingt-cinq bornes Starlink sont en cours d’envoi, pour permettre aux officinaux d’avoir accès à Internet par ce réseau satellitaire. Tous les logiciels métier ne sont pas compatibles cependant donc on essaie de voir avec eux s’ils peuvent faire un développement. Quant à l’avance de trésorerie, cette possibilité a été acceptée par la CNAM, reste maintenant à voir selon quelles modalités, détaille le président de l’USPO, qui anticipe une autre difficulté qui risque de se poser bientôt. Tout le personnel des équipes officinales est présent mais certains disent vouloir rentrer en métropole dès que possible donc on peut déjà redouter un manque de personnel à l’avenir. »

L’alerte de Pierre-Olivier Variot sur ce dernier point est d’autant plus préoccupante que les pharmaciens mahorais ont déjà cruellement besoin de bras aujourd’hui, comme le rappelle Pierre-Emmanuel Ancenys. « Certes, les conditions sont complexes mais nous exerçons ici la pharmacie sous son aspect le plus passionnant. Depuis le début de cette crise, les pharmaciens sont devenus le pilier du système de santé et la population reconnaît la valeur de la blouse blanche. Nous avons été présents pour eux, leur avons donné des produits de première nécessité, notamment pour les enfants, mais aujourd’hui nous avons besoin de renforts humains, de pharmaciens, de préparateurs, de professionnels de santé dans toutes les disciplines…  » Dans les prochains jours, le titulaire de Kawéni compte bien faire passer ce message aux représentants nationaux de la profession.

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Dégâts après le passage de Chido

Source : lequotidiendupharmacien.fr