Le marché du complément alimentaire (CA) est en pleine forme. Il a augmenté de plus de 5,7 % entre 2023 et 2024 et pèse 3 milliards d’euros de chiffres d’affaires, tous circuits de vente confondus. En pharmacie, il cartonne : +8,2 % en valeur et +7 % en volume en 2024, selon Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires. Malgré la croissance des ventes à distance sur catalogue ou en ligne (11 % du chiffre d’affaires) et de la vente directe au domicile (10 %), l’officine reste de loin le premier lieu de vente, avec 55 % du chiffre d’affaires. « Le consommateur entre toujours sur le marché par l’officine, même si par la suite il commande en ligne, pour une question de prix et de praticité », analyse Christelle Chapteuil, vice-présidente de Synadiet. Dans 42 % des cas, il achète sur le conseil du pharmacien, selon le Baromètre 2025 de la consommation des compléments alimentaires (Toluna Harris Interactive).
Comment expliquer ce succès ? « Lieu de confiance et de proximité, elle propose aussi plus de choix depuis une dizaine d’années : les linéaires ont augmenté et le nombre de marques s’est multiplié », explique Christelle Chapteuil. « Le Covid a renforcé la prise de conscience de l’importance de la prévention. À cela s’ajoute la recherche du naturel en réaction aux crises du médicament. »
« Même d’origine naturelle, ces ingrédients peuvent présenter une toxicité pour la santé », nuance Fanny Huret, responsable de la mission nutrivigilance à l’Anses qui reçoit chaque année en moyenne 17 signalements préoccupants sur une toxicité intrinsèque (Garcinia cambogia et toxicité hépatique notamment), des mésusages (vitamine D chez le nourrisson), des interactions médicamenteuses (Eschscholtzia californica, mélatonine…), etc.
Une réglementation moins exigeante que pour le médicament
Le syndicat des acteurs du marché des compléments alimentaires rappelle que leur production est encadrée par la directive européenne sur les aliments : si leur formule n’est pas enregistrée, comme pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament, « les ingrédients des CA doivent être sélectionnés dans une liste autorisée, explique la vice-présidente du Synadiet. Il fait ensuite l’objet d’une notification auprès de la Direction générale de l’alimentation, qui précise la composition, les doses journalières et les effets secondaires indiqués sur l'étiquetage ». Par ailleurs, « il y a des listes d’allégations autorisées en fonction des ingrédients et d’autres dites “en attente” que l’opérateur doit justifier », vérifiées ensuite par la DGCCRF. Enfin, le produit fait l’objet de contrôles réguliers pendant la production et sur les lieux de vente.
« Certes le metteur sur le marché est responsable de la qualité et de la sécurité de ses produits, mais le niveau de données exigé pour un aliment n’a rien à voir avec celui demandé pour un médicament, déplore Aymeric Dopter, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition à l’Anses. De plus, « pour le médicament, c’est au fabricant d’apporter la preuve que son produit est sûr alors que, pour l’aliment, cette charge de la preuve revient aux pouvoirs publics. C’est-à-dire que c’est à nous, Anses, d’apporter la démonstration qu’un risque pour la santé justifie d’interdire le produit ».
D’où l’importance de la nutrivigilance, y compris pour les fabricants eux-mêmes : « Depuis 2010, le système de nutrivigilance nous a permis de voir, une fois les produits sur le marché, des effets secondaires qui ont pu être remontés, reconnaît Christelle Chapteuil. Cela a permis de renforcer les précautions d'emploi sur les étiquetages et de connaître de mieux en mieux des problématiques potentielles par rapport au complément alimentaire. »
Cependant l’Anses alerte sur le fait qu’avec moins de 1 000 cas signalés par an (478 en 2024, 749 en 2023), dont à peine la moitié est analysable, les remontées de terrain sont encore trop faibles (voir encadré).
Seuls près de 500 signalements à la nutrivigilance sont analysables chaque année
Des préoccupations nouvelles
Avec 5 % du chiffre d’affaires des CA en 2024, « les gummies représentent l’innovation la plus récente en termes de la galénique, explique Christelle Chapteuil. L'avantage, c'est plus fun que la gélule et le comprimé traditionnel, avec des goûts assez bons. L’inconvénient, c’est le risque de picorer dans la boîte, sans tenir compte des doses. »
C’est justement ce qui préoccupe l’Anses : « Les accidents liés à cette nouvelle forme qui ressemble à des bonbons et qui sont laissés à portée des jeunes enfants. On enregistre, en nutrivigilance et toxicovigilance, de nombreux cas d’intoxications d’enfants qui consomment la boîte entière, alors que ce sont des substances actives », souligne Fanny Huret.
Les industriels proposent donc des solutions pour éviter ces méprises : conseils d’utilisation sur l’étiquette, bouchons spécifiques… « Mais c’est aux parents de garder la main dessus », ajoute Christelle Chapteuil.
CBD, Garcinia : des situations anormales
Pour compliquer le tout, diverses failles de la réglementation en matière de compléments alimentaires entretiennent la confusion auprès des consommateurs et des professionnels de santé. Ainsi l’Anses rappelle « que le CBD est actuellement non autorisé. C’est-à-dire que l’autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, n’a pas rendu d’avis scientifique qui permette de conclure à l’innocuité de la consommation à long terme du CBD », explique Aymeric Dopter. Le CBD relève, en effet, de la réglementation de novel food car il n'a pas d’historique de consommation. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) est ferme : « Toutes les denrées alimentaires à base de CBD actuellement mises sur le marché en France, et plus largement sur le marché européen, le sont de manière illégale. Elles peuvent par conséquent faire l’objet de mesures de retrait, voire de rappel, en cas d’alerte notifiée par un État membre. » Aujourd’hui seules les graines de chanvre et leurs dérivés, ainsi que les feuilles exclusivement destinées à la préparation d’infusion aqueuse, ou les infusions aqueuses de feuilles de chanvre, peuvent être commercialisées. À condition de respecter les teneurs maximales en équivalents de delta-9-THC de 0,3 %.
Pour les produits à base de Garcinia cambogia, responsables d’effets indésirables graves dont un cas d’hépatite mortelle, la réglementation aussi est floue. Interdite dans les médicaments, la plante est pourtant utilisée dans les compléments alimentaires à visée d’amaigrissement. « Tant que l’EFSA ne s’est pas prononcée, il n’est pas interdit d’utiliser cette allégation. Il y a des demandes déposées au niveau de l’EFSA et les évaluations vont reprendre, précise Aymeric Dopter. En attendant, cette situation crée une distorsion de l’information pour le consommateur car il ne peut pas faire la différence entre l’allégation dûment autorisée car scientifiquement étayée et celle qui relève de ces mesures transitoires qui n’ont pas été interdites. »
En clair, selon le Pr Irène Margaritis, adjointe au directeur de l’évaluation des risques de l’Anses, « Nous sommes dans un vide réglementaire dans la mesure où ce n’est pas explicitement interdit. Cette situation conduit, on peut le dire, à tromper le consommateur. »
Nous sommes dans un vide réglementaire qui conduit à tromper le consommateur.
Pr Irène Margaritis, Anses
Déclarer un évènement indésirable
Professionnels de santé, industriels et consommateurs peuvent directement signaler un évènement indésirable qui apparaît à la suite de la consommation d’un complément alimentaire, dans des conditions normales d'utilisation de ce produit ou non, auprès de l’Anses. Un formulaire est à disposition sur nutrivigilance-anses.fr.
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