Après avoir longtemps présenté l’une des plus fortes densités pharmaceutiques d’Europe, la Belgique a interdit il y a quelques années les nouvelles créations et fait fermer ou fusionner plusieurs centaines d’officines. Avec 4 650 pharmacies pour 11,5 millions d’habitants, soit une pour 2 400 habitants, sa densité actuelle reste néanmoins supérieure d’un tiers à la moyenne européenne ou française. Les officines sont donc relativement petites, avec deux pharmaciens en moyenne, dont le titulaire, et un préparateur. Cela signifie que les pharmaciens adjoints qui souhaitent devenir titulaires ou propriétaire doivent attendre qu’une officine soit à vendre pour la racheter, ou que son titulaire s’en aille. Il est en effet possible d’être titulaire d’une officine sans en être le propriétaire.
Actuellement, le pays compte 12 000 pharmaciens, dont près de 10 000 officinaux, la profession étant féminisée à plus de 70 %. On compte parmi eux une moitié de titulaires, propriétaires ou non, les autres étant adjoints ou « itinérants » : ces derniers, dont le nombre est en forte progression, ne sont pas attachés à une seule pharmacie, mais enchaînent les contrats de courte durée en fonction de la demande. La Belgique autorise les chaînes et les propriétés multiples mais, dans les faits, 3 900 pharmacies sont indépendantes et seulement 400 pharmaciens en possèdent plusieurs. La plus grande chaîne compte 280 officines, et les « mutuelles », c’est-à-dire les caisses de maladie, possèdent souvent un réseau de pharmacies.
« Nous avons de plus en plus de mal à trouver et à garder des adjoints », constate Koen Straetmans, pharmacien à Quevaucamps, dans le Hainaut, à quelques encablures de Valenciennes, et président de l’Association pharmaceutique Belge (APB), qui équivaut grosso modo à notre Fédération. Il admet que si le pays offre aux pharmaciens de bonnes conditions de travail, l’organisation des pharmacies étant d’ailleurs réputée pour sa qualité, les conditions de rémunération ne sont pas forcément très attrayantes, et ne peuvent pas rivaliser avec celles de l’industrie pharmaceutique qui attire de nombreux jeunes pharmaciens. En officine, un adjoint gagne entre 3 100 et 4 100 euros brut par mois selon son ancienneté et ses fonctions, mais les cotisations sociales étant beaucoup plus élevées qu’en France, le revenu net se situe entre 2 000 et 2 700 euros, avec un coût de la vie supérieur à ce qu’il est en France. En pratique, ces chiffres basés sur les barèmes officiels sont actuellement majorés de 10 % ou plus, précise l’APB.
Reconnaissance mutuelle
À côté de l’APB, il existe un Ordre fédéral, divisé en neuf Ordres provinciaux, lesquels sont compétents pour tout ce qui concerne les installations et l’exercice professionnel, y compris pour les pharmaciens étrangers. La Belgique étant, comme la France, l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, toutes les procédures de reconnaissance mutuelle y fonctionnent selon les règles communautaires depuis leur entrée en vigueur, et sont donc relativement simples. L’obtention des autorisations se complique un peu pour les titulaires de diplômes reçus hors de l’UE, où leurs validations sont plus poussées, sans être toutefois insurmontables.
Contrairement à plusieurs pays européens, il n’existe aucun examen linguistique pour travailler comme pharmacien en Belgique, mais attention : le pays, divisé en trois régions (Wallonie, Flandres et Bruxelles-Capitale) compte trois « communautés linguistiques » à savoir la « communauté française » en Wallonie et à Bruxelles, la « communauté flamande » en Flandre et à Bruxelles, et la « communauté germanophone » dans trois cantons de la province wallonne de Liège, bordant la frontière allemande, et qui ne compte que 77 000 habitants. En clair, un pharmacien exclusivement francophone, qu’il soit belge ou français, n’aura guère de chance de trouver un emploi dans une pharmacie flamande, et inversement pour les Flamands désireux d’exercer en Wallonie. Enfin, la région de Bruxelles-Capitale est francophone à près de 90 %, mais officiellement bilingue. Tout y est donc dédoublé, y compris les noms des rues ou les annonces vocales dans le métro et les trams, et l’on y trouve même deux facultés de pharmacie, l’une à l’université libre de Bruxelles, francophone, et l’autre à la Vrije universiteit Brussel, néerlandophone. S’il faut en théorie manier les deux langues pour travailler à Bruxelles, en pratique, cela n’est guère exigé, sauf dans l’administration. Par ailleurs, la capitale européenne est une tour de Babel linguistique en raison de la présence des institutions de l’UE, mais aussi de l’OTAN… À laquelle s’ajoute une très forte immigration qui, dans de nombreuses « communes » (arrondissements) de Bruxelles, rend l’arabe très utile.
Préparations magistrales
Selon Koen Straetmans, les pharmacies belges s’ouvrent de plus en plus vers les nouvelles missions d’éducation, de prévention et de suivi pharmaceutique, payé à l’honoraire. Elles ont obtenu, lors de la pandémie, le droit de vacciner contre le Covid-19 et réclament actuellement celui de vacciner contre la grippe, ce qui suscite une vive opposition du corps médical. Comme en Allemagne et aux Pays-Bas, les pharmacies font beaucoup de préparations magistrales. L’APB observe par ailleurs que les pharmacies de chaînes comptent moins d’adjoints que les officines indépendantes, mais plus de préparateurs, en moyenne deux par pharmacie. D’une manière générale, ce sont les pharmaciens titulaires qui s’occupent de la gestion de l’officine, leurs adjoints se concentrant plus sur les autres activités, mais il n’y a pas de règle écrite.
Bien que le pays soit très fortement régionalisé, y compris en matière de santé, avec un ministère de la Santé wallon, un flamand et un Bruxellois, les prestations sont les mêmes pour tous les assurés : ils obtiennent leurs médicaments en tiers payant, avec un reste à charge variable selon leur statut et leur âge et selon la catégorie de médicaments.
La fac de pharma en accès libre
La proximité géographique, culturelle et bien sûr linguistique entre la Wallonie et la France fait que beaucoup de pharmaciens belges exercent en France, et vice versa, principalement dans les régions proches des frontières, sans pour autant y faire carrière à vie. Comme l’explique l’Association amicale des étudiants en pharmacie de Lille, la Belgique, contrairement à la France, n’impose pas de concours d’entrée aux études pharmaceutiques, ce qui pousse de nombreux étudiants français à s’inscrire dans l’une des quatre facultés francophones belges, c’est-à-dire Bruxelles, Louvain-la-Neuve, Mons et Liège. La Belgique compte quatre autres facultés néerlandophones, à Bruxelles, Louvain, Anvers et Gand. Les étudiants comme les pharmaciens précisent néanmoins que, même sans concours d’entrée, les études ne sont pas plus faciles qu’en France, et que les facultés francophones envisagent de mettre fin à cet accès « libre », comme c’est déjà le cas pour la médecine.
Les Français étudiant en Belgique y font tout naturellement leurs stages avant, souvent, d’y exercer quelques années. Dans l’autre sens, observent les étudiants lillois en stage dans leur région, « nous côtoyons souvent des adjoints belges dans les officines françaises où nous travaillons ». En outre, un certain nombre de pharmaciens flamands exercent aux Pays-Bas, car ils parlent le néerlandais, comme leurs voisins du nord. Ils peuvent y bénéficier d’une rémunération plus élevée que chez eux, dans des officines beaucoup plus grandes qu’en Belgique, mais nettement moins nombreuses, et dotées de compétences très larges.