L’Espagne comptait 22 198 officines en 2021 pour une population de 47,3 millions d’habitants, soit une pharmacie pour 2135, avec de fortes disparités entre les régions, ainsi qu’entre les grandes villes et les campagnes. La démographie est donc supérieure à celle de la France, ce qui se remarque très vite au vu de la taille souvent réduite des officines espagnoles. Les créations sont subordonnées à des critères géographiques et de population. Chaque année, une cinquantaine de nouvelles pharmacies ouvrent dans le pays, surtout dans les capitales régionales et provinciales où la population augmente.
On comptait, en 2021 toujours, 78 128 pharmaciens, dont 72 % de femmes, avec une moyenne d’âge de 49 ans. Les officines ne peuvent appartenir qu’à des pharmaciens, lesquels ne peuvent en détenir qu’une seule, mais 14 % des titulaires sont associés avec un confrère ou une consœur. L’officine emploie un peu plus de 55 000 pharmaciens, soit grosso modo 22 000 titulaires et 33 000 adjoints, appelés « adjuntos ». Les adjoints sont salariés par l’officine, selon une grille nationale. Les autres pharmaciens se répartissent entre l’hôpital, l’industrie et l’administration, ou sont sans activité ou retraités.
Offre et demande équilibrées
« Nous n’avons pas vraiment de problèmes de démographie pharmaceutique, et l’offre et la demande sont plutôt équilibrées », estime Benjamin Cid Bourié, qui s’occupe des affaires internationales au sein du Conseil général des collèges officiels de pharmaciens, l'équivalent du Conseil national de l’Ordre, qui fédère à Madrid les 17 Ordres régionaux. Cette adéquation a pour conséquence que les pharmaciens espagnols quittent peu leur pays, et que seulement 1 300 pharmaciens étrangers travaillent en Espagne, soit moins de 3 % : « Nous accueillons surtout des pharmaciens venus d’Amérique latine, en particulier des Colombiens, mais aussi des Marocains, qui n’ont que le détroit de Gibraltar à traverser », poursuit-il. La circulation des pharmaciens entre la France et l’Espagne n’est pas très importante, et se limite aux régions frontalières, de part et d’autre des Pyrénées : « la rémunération des adjoints est un peu moins élevée en Espagne, mais chez nous, vous avez la mer et le soleil », ajoute M. Bourié en souriant.
Comme dans tous les pays de l’Union européenne, un pharmacien titulaire d’un diplôme obtenu dans un État membre peut travailler en Espagne après y avoir accompli la procédure de reconnaissance prévue par la carte européenne de santé. Les pharmaciens qui n’ont pas obtenu leur diplôme dans l’UE doivent, par contre, revalider leurs compétences auprès d’une université. Enfin, diplôme européen ou non, tous les pharmaciens doivent avoir réussi un examen d’espagnol de niveau B2 pour pouvoir travailler en Espagne.
Service national de santé
Si l’organisation pharmaceutique évoque celle de la France, il n’en est pas de même pour le système de santé, car l’Espagne possède un Service national de santé très proche du National health britannique, dans lequel tous les professionnels, sauf les pharmaciens, sont salariés. L’ensemble est financé par les régions à travers les impôts, et gratuit pour les assurés, qui paient toutefois des restes à charge sur les médicaments, en fonction de la classe à laquelle ils appartiennent, mais aussi de leur propre situation familiale et financière.
Comme dans tous les systèmes nationaux de santé, que l’on retrouve par exemple au Portugal, en Italie ou en Grèce, les délais d’attente sont parfois longs, et les patients ne peuvent pas toujours choisir librement leurs médecins. Pour cette raison, il existe en parallèle des assurances privées, qui donnent plus de choix aux patients, sans liste d’attente. Financées par des cotisations individuelles, elles sont parfois très onéreuses, selon les Français expatriés qui y sont affiliés. Très souvent, les médecins espagnols, surtout les spécialistes, partagent leur temps entre une activité au sein du service public et une activité privée dans leur cabinet. Le service public utilise des ordonnances électroniques depuis 2017, et la généralisation de ces dernières pour les assurés privés est en train de s’achever.
Un monopole strict
L’Espagne compte 22 facultés de pharmacie et plus de 8 000 étudiants, et environ 2 500 jeunes pharmaciens sortent chaque année de l’université. Ils effectuent un stage de 6 mois en officine avant de pouvoir exercer. Le monopole espagnol est strict, et les ventes en ligne se limitent aux produits non prescriptibles.
Les pharmaciens ont développé ces dernières années de nombreux services, dont les dossiers pharmaceutiques digitalisés, mais aussi le suivi pharmaceutique et l’éducation thérapeutique. Leurs associations ont mis en place des sessions de pharmacie clinique très suivies, et les pharmaciens sont même formés à la consultation et à la prescription de médicaments pour certaines affections mineures… mais n’ont pour le moment pas le droit de prescrire. Il en est de même pour la vaccination : ils y sont formés mais ne peuvent l’effectuer eux-mêmes, pas même celle contre le Covid, car cet acte est réservé aux infirmières. Les pharmacies sont rémunérées par une marge fixe de 27,9 % sur les médicaments prescrits, qui se transforme en trois niveaux d’honoraires allant de 38 à 48 euros pour les médicaments coûtant respectivement plus de 91, 200 et 500 euros.
Des conditions d'installation relativement ouvertes
À côté des syndicats de titulaires, il existe plusieurs syndicats et associations d’adjoints. Ces structures négocient avec les titulaires, que ce soit en matière de compétences ou de revenus, mais estiment qu’il n’y a pas, actuellement, de « conflit social » avec ces derniers, même si certains adjoints vivent mal les horaires très étendus, souvent jusqu’à 22 heures, voire toute la nuit et tous les week-ends !
Les adjoints désireux de s’installer doivent attendre qu’une pharmacie se libère, mais le marché reste relativement ouvert, selon Farmaconsulting, le leader des transactions d’officines en Espagne, qui traite environ 550 ventes par an, soit 80 % de ce marché. Il faut attendre en moyenne 3 à 5 ans pour trouver une officine, mais la situation, comme les prix, est très variable d’une région à l’autre. C’est à Madrid, en Andalousie, à Barcelone et dans la Communauté Valencienne que la demande est la plus forte, alors qu’elle est très faible en Navarre et dans les îles. Les adjoints recherchent surtout des pharmacies réalisant un chiffre d’affaires avoisinant les 500 000 euros, réalisé en moyenne par 35 % des officines, le prix de vente étant calculé en fonction du chiffre d’affaires des deux années précédant la vente.