« Je ne veux pas surfer sur la vague des coefs 650, 700 ou plus… Je pourrais mais je ne suis pas un mercenaire », confie Emmanuel. Après avoir passé une partie de sa carrière dans l'industrie, ce pharmacien a rejoint l'officine il y a 7 ans. Il y a quelques semaines, il a démarré un contrat dans une nouvelle officine. De son propre aveu, il aurait pu faire « monter les enchères ». Pourtant, parmi les cinq postes qui lui ont été proposés, il n'a pas sélectionné celui pour lequel le salaire était le plus juteux : « Par rapport à mon précédent contrat, j'ai même consenti à une baisse de salaire pour gagner en valorisation de compétences. » Un choix personnel guidé par une conviction : « Pour moi, l'essentiel est de construire une collaboration pérenne et de confiance avec le titulaire, pour que l'un et l'autre s'épanouissent. » Au cours des deux entretiens avec son nouvel employeur, Emmanuel a abordé l'aspect financier sous l'angle de la rémunération, mais également en termes de retour sur investissement pour l'entreprise et d'intérêts pour les patients : « J'ai négocié la prise en charge d'une formation en éducation thérapeutique qui va me prendre deux jours par mois pendant trois mois. L'acquisition de ces nouvelles compétences plus mon expérience vont me permettre de développer de nouveaux services dans l'officine et de générer une nouvelle source de revenu. »
Garder l'avantage de façon raisonnable.
Si le marché de l'emploi en pharmacie est effectivement favorable aux adjoints, cet avantage doit être exploité raisonnablement. « D'autant plus que ce marché est cyclique : il est donc plus intelligent de capitaliser sur ses compétences et ses valeurs pour négocier plutôt que sur le contexte actuel », souligne Aurélien Filoche, cofondateur de OuiPharma. Il met en garde contre « le piège de la surenchère qui donne une mauvaise image du candidat et met en péril la viabilité économique des officines ».
Pour son premier poste d'adjoint, Louis admet s'être laissé enivré par le haut salaire qu'il n'a même pas eu à négocier : « Un coef. 600 pour débuter, c'était plus qu'alléchant d'autant que je veux mettre de l'argent de côté pour m'installer rapidement. Mais ça s'est mal terminé ; j'ai démissionné au bout de deux mois. » Louis n'est pas le seul à s'être brûlé les ailes sur l'autel de la rémunération, oubliant un aspect essentiel dans le monde du travail : l'épanouissement. « Si on ne s'attache qu'à l'aspect financier, on va droit dans le mur. Un entretien, c'est une rencontre entre deux personnes qui auront peut-être l'occasion de travailler ensemble. L'une et l'autre partie ont des responsabilités (voir l'encadré). Dans les deux cas, la sincérité est essentielle : sincérité sur les capacités professionnelles du candidat et sincérité de l'employeur sur les valeurs et les attentes de son entreprise », explique Émilie Soulez, formatrice et coach en communication « Savoir lui dire ».
Parce que je le vaux bien.
Pour son nouveau poste, Emmanuel a su rester raisonnable. Selon lui, le salaire est une donnée, mais il ne correspond en rien à un plan de développement professionnel : « Le salaire ne donne pas de droits ; il ne donne que des devoirs. » Un avis partagé par Valentin, fraîchement diplômé mais lucide sur la rémunération juste : « Si on demande beaucoup, on s'engage à donner beaucoup. » Lors des entretiens, le jeune pharmacien préfère évaluer la capacité de l'employeur à entendre ses envies et ses propositions pour l'entreprise : « Si on me demande d'être un pilier de comptoir, c'est non, quel que soit le salaire. Par contre, l'employeur qui s'est intéressé à mon CV et avec lequel un échange s'installe dans l'objectif de définir des missions précises aura toute mon attention. À l'issue de cette discussion, c'est moi qui lui demande jusqu'à combien il est prêt à me rémunérer pour ce travail. »
S'estimer est certainement un des exercices les plus difficiles et pourtant indispensable en amont de la négociation pour transformer un savoir-faire et un savoir-être en salaire. « Il faut être lucide sur ses qualités et ses défauts. Pour les identifier, il ne faut pas hésiter à demander l'avis de collègues, d'amis de promo ou de proches. Il faut ensuite sélectionner ce qui semble le plus valorisant au regard du poste », conseille Émilie Soulez.
Parler argent quoi qu’il en coûte.
« Aborder le sujet de la rémunération demande une certaine subtilité. La crispation de l'employeur relève souvent d'un problème de forme », souligne Aurélien Filoche, rappelant au passage que la rémunération négociée, mensuelle ou annuelle, doit toujours être exprimée en brut. Afficher ses prétentions salariales dès le début de l'entretien est un comportement rarement bien perçu. Le sujet de la rémunération et la négociation qui s'ensuit seront plus faciles à aborder après une présentation complète du candidat, de ses qualités personnelles et humaines, et de ses compétences techniques correspondant à ses formations et son expérience. « Une fois qu'on a posé les choses et qu'on a livré ses arguments, on affiche un souhait de rémunération et on laisse un temps de silence. Ce n'est plus le moment de se justifier », explique Émilie Soulez.
Qui dit négociation dit échange entre les deux partis : « Si l'employeur fait une contre-proposition, il faut se laisser le temps de répondre. On n'est pas obligé de conclure un deal dès le premier entretien. » Le type de contrat est également un critère déterminant. « Pour un remplacement ou un CDD, se rendre disponible rapidement peut être un critère de négociation. Dans le cadre d'un CDI, c'est différent. Il faut savoir être raisonnable si on veut être crédible et créer une relation durable », observe Valentin. « L'engagement est effectivement une compétence qui se valorise sur le long terme », confirme Aurélien Filoche. Une valorisation financière, mais également en termes de formation ou d'élargissement des responsabilités. En outre, un salaire peut être renégocié régulièrement, rappelle le cofondateur de OuiPharma : « Cela implique que l'employeur soit en capacité d'évaluer le travail d'un collaborateur, à travers des objectifs et à l'occasion d'entretiens réguliers. » La négociation salariale recoupe alors un autre sujet : la capacité à manager.