Boule à zéro, petite barbiche plus claire que grisonnante, avant-bras surchargés de tatouages, guitare électrique sur les genoux, on semble bien loin de l’image qu’on se fait d’un pharmacien ! Yves Aubry l’est pourtant, adjoint à Calais (Pas de Calais). Le confrère vient de la région parisienne, a eu son diplôme en 1984, et est venu deux ans plus tard à Calais. Il compte prendre sa retraite cet été, à 64 ans.
Yves Aubry a une voix douce, pour parler de choses de rocker. Il est un lecteur assidu, mais « très BD, du style Tintin ou Adèle Blanc-sec », des héros que les moins de vingt ans peuvent ne plus connaître.
« J’ai commencé par la peinture, plutôt Pop art, et je peignais sur les deux côtés du tableau. Ça m’est venu comme ça, je voulais creuser l’effet de profondeur. » Mais il reconnaît avoir, par ses lectures et par la peinture, été « amené vers l’écriture, depuis longtemps, et toujours en recherche d’identité ».
En recherche d'identité
Comme d’autres, il écrit « des bouts de choses, des schémas, et un jour ça s’est enchaîné ». Son premier livre s’inspire de l’histoire de sa grand-mère, polonaise, déportée pendant la Shoah. La mère d’Yves Aubry avait alors 12 ans. Recueillie par des Justes, elle est venue en France. Elle dira plus tard à son fils que sa grand-mère avait « disparu », ce dont on ne parle pas à la maison. Lui recherche une identité : « J’ai imaginé, mais j’ai aussi lu beaucoup de documentations au Mémorial de la Shoah. »
Son second livre est paru à l’automne 2022. Son titre est « Tu parles, Charles » (éditions Scribest). Est-il aussi à la recherche d’une identité ? « Des souvenirs de mon époque, qu’il m’a semblé logique de raconter comme cela. Vrai, ou pas ? Ça n’a pas beaucoup d’importance. »
Le livre raconte la journée d’un ado, en 1969, alors que la chanteuse Jane Birkin chante « 69, année érotique », qu’Yves Aubry écrit « ewotique », pour moquer le faux accent britannique de la chanteuse. Toute sa journée, l’ado se raconte, et… vit ce que vit un ado. Est-ce vrai, ou pas, quelle importance ?
Exotique
Yves Aubry le dit : « Quelqu’un qui sort de l’ordinaire, c’est exotique », mais ne précise pas qui est le quelqu’un. À la pharmacie, il a dédicacé ses livres. Sans masque.
Aujourd’hui, il « gratouille » sa guitare, mais apprend aussi à jouer avec un professeur de guitare électrique. Sa plus jeune fille lui avait offert en cadeau d’anniversaire de ses 60 ans son premier tatouage. « Ça fait mal, ça se mérite ! , mais à Calais, il faut six mois pour avoir un rendez-vous. » Il patiente et complète ! « A la pharmacie, c’est un sujet de conversation, les petits vieux étaient assez suffoqués. »
« Quand j’écris, reconnaît le confrère, j’apporte une imagination importante, mais je me mets en scène dans l’écrit, et je retourne les faits à mon avantage. Je parle toujours à la première personne, et je prends mon temps. »
« J’ai plusieurs manuscrits en cours, tout tourne beaucoup dans ma tête, mais je n’ai pas beaucoup d’organisation. Tous mes projets de titres tournent sur l’identité, dont un sur la jungle de Calais » [le nom qu’on avait donné à ces « camps » où se réfugiaient des milliers de migrants en route vers l’Angleterre].
« Je vais prendre ma retraite en août, pour aller vers plus de créativité, d’écriture, de musique. » Exotique !