Les six premiers mois de l'année passés au peigne fin par deux cabinets comptables, Fiducial* et CGP le confirment. Les années Covid sont derrière nous. Un retour à la normalité s'amorce définitivement. Avec l'inflation, notamment la hausse des prix des médicaments OTC et de la parapharmacie, le chiffre d'affaires parvient à se hisser au niveau de la période de référence 2022 (1,090 million d’euros, chiffres CGP). La prescription hospitalière et les médicaments chers (voir page 23) font le reste. C'est ainsi qu'une progression des ventes HT de 7,58 % (9,67 % de hausse pour le médicament remboursé et 5,48 % d'augmentation dans les produits de TVA à 20 %) occulte la quasi-disparition des missions Covid.
Une apparente solidité
Aussi, alors que les activités liées à la gestion de la crise sanitaire décrochent de près de 95 % selon les cabinets comptables, le médicament remboursé apparaît plus que jamais comme l’élément stabilisateur de l'économie officinale. Il contribue pour 75 % au total des ventes et pour 68 % au chiffre d’affaires global. Cette apparente solidité ne peut cependant masquer certains indices d'une fragilisation. Les honoraires de dispensation refluent de 3,66 % et les honoraires à l'ordonnance de 14,29 % ! Certes, ce comparatif avec le premier semestre 2021, très marqué par les pathologies, doit être modulé. Il n'empêche que ces chiffres trahissent aussi un recul de la fréquentation des officines de plus de 12 %, souligné par le cabinet Fiducial.
Dans ce contexte, l'augmentation de 4 euros du panier moyen n'est pas un élément consolateur en soi, car son origine reste incertaine. Est-elle un effet direct de l'inflation ? Ou de la part croissante des médicaments chers ? Sans doute un mix des deux, estime Bertrand Cadillon, expert-comptable chez Fiducial. « Il est difficile, par rapport à ces chiffres, de déterminer la cause réelle. Il faut être prudent. Car nous n’avons pas le degré de granularité qu’ont d’autres sources. Les panélistes font des études fort intéressantes qui corroborent d’ailleurs – j’ai regardé des chiffres du GERS – assez bien ce qu’on vous présente sur 2023, analyse Philippe Becker. C’est très compliqué et ça va l’être encore plus dans les années qui viennent, car on ajoute des couches et des sous-couches de prestations qui sont difficiles à repérer dans les bilans. Même pour ceux qui utilisent des logiciels de gestion officinale. Nous allons travailler durement sur les taux de TVA et bien d’autres sujets. »
Des trésoreries en tension
Davantage qu’une granularité, cette analyse du premier semestre reflète des tendances. Mais il est un autre indicateur qui ne trompe pas. Et qui entérine définitivement le fait que 2020, 2021 et 2022 appartiennent au passé. La marge brute globale régresse de 10,42 % au premier semestre par rapport à la période de référence 2022. Il est aujourd'hui prématuré, en l'absence de bilans, d'ébaucher le contour de l'excédent brut d'exploitation (EBE) pour cette année. Mais face à des charges de personnel qui atteignent 10,12 % du chiffre d'affaires de ces six premiers mois (soit une hausse de 3,28 %), il y a fort à parier que celui-ci pliera sous le poids des coûts d'exploitation estimé à + 4 % en fin d'année. Toutefois, l'avenir pourrait ne pas être si sombre, tempère Philippe Becker, s'appuyant sur les prévisions de la Banque de France, si l'inflation venait à s'infléchir à 2,6 % en 2024 (3). Quant aux salaires, leur évolution dépendra bien évidemment des négociations annuelles entre la branche patronale et les syndicats de salariés.
En tout état de cause, selon les différentes données des cabinets comptables, la marge brute globale devrait atteindre environ 30 % d'un chiffre d'affaires quasiment étale, les estimations lui donnant entre 1 et 2 % de variation à la hausse. Joël Lecoeur, président du réseau CGP, tend cependant à relativiser. Car si un taux de marge sur chiffre d’affaires aussi faible n’a plus été vu au cours des sept dernières années, l’expert-comptable rappelle que la marge en euros reste l’indicateur déterminant. « Ainsi, dans une croissance naturelle de l’activité – hors Covid - sur un volume du chiffre d’affaires globalement en hausse, avec un taux de marge de 30 %, on peut être tout à fait gagnant. »
Il concède néanmoins que les trésoreries sont indéniablement en tension, tout particulièrement dans les officines qui n’ont pas pu s’investir dans les missions Covid et n’ont pas d’avance de trésorerie. Pour ces entreprises, la situation peut être dramatique. Preuve en est, ajoute l'expert-comptable, « les grossistes-répartiteurs commencent à voir réapparaître des impayés, alors qu’ils n’en voyaient plus au cours de ces trois dernières années ».
Vers un effondrement ?
Alors que les cartes se brouillent, à quelle année faut-il désormais se référer ? Les experts-comptables qui identifient les signes d'un décrochage marqué pour le début d'année, ne peuvent se résoudre à prédire « un décrochage massif » pour la totalité de l'exercice 2023. Ils s'attendent à ce que les indicateurs de l'économie officinale, notamment l'EBE, renouent avec les niveaux de l'année 2020.
Les syndicats s'avouent plus pessimistes. Et tiennent fermement à présenter 2019 comme l'année de référence, tel que cela a été conclu en mars 2022 lors de la convention pharmaceutique. C'est sur cette base que la réforme économique sera négociée dans quelques semaines entre les syndicats de la profession et l'assurance-maladie. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) tient d'autant plus à ce référentiel que « si le chiffre d’affaires tend à croître de manière naturelle, les charges ne cessent d’augmenter, 4 % pour cette année, entamant la marge de 4 %, et de manière mathématique l’EBE va diminuer. Je ne crois pas à un EBE au niveau de 2020 pour 2023. Car certes l’activité augmente, mais on remplace cette année de la marge à 100 % (les activités liées au Covid NDLR) par une marge à 0 % ». « C’est sur cela que nous allons négocier », prédit-il.
(1) Sur un panel de 134 officines de l’Hérault et de la région Centre.
(2) Avant rémunération des titulaires et cotisations TNS.
(3) Ces prévisions ont été établies avant les événements au Proche-Orient.