« Avec plus de 21 000 officines, le maillage territorial est efficient et répond aux besoins de la population française », assure Bruno Maleine, président du Conseil central de la section A de l’Ordre des pharmaciens. Un maillage homogène qui pose la question de la réelle utilité d’une offre en ligne. « Nous répondons simplement au souhait du patient de pouvoir réaliser certains achats en ligne », tranche Bruno Maleine. Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), rétorque, de son côté, que « la vente en ligne ne répond pas à une demande des patients, lesquels préfèrent conserver un contact avec le pharmacien. D’autant qu’en moyenne, un patient dispose d’une pharmacie à 8 minutes de chez lui. Je ne vois pas ce qu’Internet peut apporter de plus. »
Au-delà d’une réponse supposée à un besoin, ces sites visent aussi à contrer certaines pratiques illégales comme la vente de médicaments sur des sites non autorisés, ou encore la vente de médicaments contrefaits. L’Organisation de coopération et de développement économique évalue à 4,4 milliards d’USD, le commerce mondial des produits pharmaceutiques illicites. Si ce sont majoritairement les pays pauvres ou en voie de développement qui en font les frais, la France n’est pas non plus épargnée.
« Contrôler la viabilité de la plateforme »
Dernièrement, l’opération Pangea XV, déployée dans 94 pays membres d’Interpol, a ciblé les produits pharmaceutiques et médicaux contrefaits vendus, dans le monde entier, par des pharmacies en ligne illégales. Résultats : 7 800 saisies de médicaments et produits de santé illicites et mal étiquetés pour plus de 3 millions d’unités. « Pendant toute la semaine qu’a durée l’opération, ces services ont enquêté sur plus de 4 000 liens Web, principalement recensés sur des plateformes de médias sociaux et des applications de messagerie ; [ces mêmes services ont] désactivé ou retiré plus de 4 000 liens Web pointant vers des publicités relatives à des produits illicites… » détaille Interpol dans un communiqué. En 2020, ce sont 128 000 médicaments contrefaits qui ont été saisis en France, par les douanes.
Sans aller jusqu’à enrayer ce marché parallèle, les sites légitimes de vente en ligne, plus que de rendre un service, ont vocation à garantir la qualité des médicaments achetés. Comment ? Via différents « verrous à destination du patient, qui pourra contrôler la fiabilité du site Internet », décrit Bruno Maleine.
Les ARS aux manettes
En France, l’activité de vente en ligne de médicaments est légale, mais étroitement encadrée. L’ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012, relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur Internet et à la lutte contre la falsification de médicaments, autorise l’achat de médicaments en ligne en toute sécurité, mais sous certaines conditions pour les pharmaciens.
Ainsi, tout le monde ne peut pas créer et exploiter un site de vente de médicaments sur Internet, ou VMI. Cette activité est réservée aux pharmaciens titulaires d’officine, aux gérants de pharmacie minière ou mutualiste. « Le site Internet doit obligatoirement être adossé à une officine de pharmacie physique ayant obtenu une licence délivrée par l’ARS, précise l’ARS dans une communication dédiée. La sous-traitance de tout ou partie de la vente par Internet (y compris l’exploitation du site Internet) à un tiers est interdite. » À noter que la cessation d’activité d’une officine de pharmacie entraîne automatiquement la fermeture de son site Web.
La demande d’ouverture d’un tel site doit être effectuée auprès du directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) dont dépend l’officine. L’autorisation est délivrée après examen d’un dossier type. Tout changement ultérieur devra faire l’objet d’une déclaration à l’ARS. « En cas de manquement aux règles applicables, le directeur général de l’ARS pourra prononcer la fermeture temporaire (5 mois, NDLR) du site Internet ou infliger une amende administrative », indique l’ARS dans un document dédié. Une nouvelle fermeture peut être décidée si le pharmacien ne s’est pas mis en conformité.
Et des règles applicables, sur le papier, il y en a. Sur ces sites, ne peuvent être vendus que les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription ou les produits en libre accès dans l’officine. Il s’agit, en somme, « des médicaments destinés à soigner des symptômes courants pendant une courte période, qui ne nécessitent pas l’intervention d’un médecin », détaille l’ARS dans son dossier de demande d’autorisation de création de site de vente en ligne.
Une liste des e-pharmacies autorisées sur le site de l’Ordre
Une série de données doit obligatoirement figurer sur lesdits sites afin de s’assurer de leur légitimité. Tout d’abord, un lien redirigeant vers une liste sur le site de l’Ordre des pharmaciens, qui répertorie l’ensemble de ces professionnels autorisés habilités à vendre des médicaments en ligne. « Passer par le portail de l’Ordre garantit d’être redirigé sur des sites autorisés. Mais sur Internet, il y a une multitude d’offres et un patient peu averti peut rapidement se retrouver sur un site frauduleux », reconnaît Bruno Maleine. Mais de l’avis de Pierre-Olivier Variot, la liste de l’Ordre n’est pas suffisante. « Dans la pratique, personne ne vérifie la liste. Ce service (de vente en ligne) n’apporte rien en termes de santé et il comporte un risque », tranche Pierre-Olivier Variot.
C’est pourquoi d’autres éléments sont censés venir sécuriser le parcours du patient. Aussi la présence d’un logo reconnaissable et commun à tous les pays de l’Union européenne est indispensable. Mais encore une fois, selon Pierre-Olivier Variot : « Les logos peuvent être copiés. Je n’ai aucune certitude que je commande bien sur une pharmacie. »
Mais la fraude n’est en réalité pas si simple, selon Bruno Maleine qui rappelle que ces logos doivent rediriger vers les sites de l’Ordre des pharmaciens et du ministère de la Santé. « Vous pouvez aisément falsifier un logo. Mais à partir du moment où celui-ci renvoie sur ces deux sites permettant de vérifier l’authenticité de celui sur lequel vous êtes, c’est plus difficile. Peu à peu, la sécurité est renforcée compte tenu des moyens qui évoluent et des difficultés rencontrées par les pharmaciens », assure Bruno Maleine.
Autre sécurité, les noms de domaines doivent être génériques et en lien avec l’officine. Présenter le protocole https, une extension sécurisée du http, est un plus. De manière générale, les mentions légales à faire figurer obligatoirement sur le site sont très nombreuses. C’est pourquoi il convient de lire attentivement le dossier de demande d’autorisation de création et d’exploitation d’un site de commerce électronique de médicaments.
Au moment de la commande, le pharmacien doit proposer un questionnaire avant validation. Celui-ci doit déterminer si, oui ou non, la commande est adaptée au profil du patient. « Sans réponse à ce questionnaire, aucun médicament ne peut être délivré. Le pharmacien procède ensuite à une validation du questionnaire, justifiant qu’il a pris connaissance des informations fournies par le patient, avant de valider la commande », indique l’ARS.
CNIL et traitement des données
Pour apporter toujours plus de garanties, c’est aussi toute une série d’informations complémentaires que le site est tenu de renseigner. Citons : les coordonnées de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; des liens hypertextes renvoyant au site de l’Ordre des pharmaciens et du ministère de la Santé ; la raison sociale de l’officine… Une liste non exhaustive. De leur côté, l’Ordre des pharmaciens et les ARS assurent des veilles, afin de s’assurer de la conformité des sites.
Au-delà du secret professionnel, le pharmacien, en ligne, sera amené à traiter des données de santé à caractère personnel. Celles-ci devront être stockées sur les plateformes d’hébergeurs agréés de données de santé à caractère personnel, répertoriées sur le site esante.gouv.fr. Les pharmaciens doivent également effectuer une déclaration simplifiée auprès de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) concernant l’activité de traitement de données de santé. La conservation des échanges avec le patient ne peut pas excéder quatre mois.