- Tout le monde t’attend papa. Tu es prêt ?
- Je suis prêt Léon. J’arrive, répond tranquillement Julien.
Avant de sortir, le pharmacien jette un dernier regard sur la grande photo accrochée au mur de la pièce qui fut son bureau pendant quarante ans.
- Regarde, toute l’équipe de la Pharmacie du marché en 2025.
Quand Julien sort de son bureau, des applaudissements nourris s’élèvent. Une trentaine de personnes, amis, familles, collègues, patients sont venues pour célébrer le départ à la retraite du pharmacien.
- Un discours papy, crie une voix jeune.
Julien regarde l’assemblée et sourit :
- Oui, mon petit Jacques. Pour ceux qui ne le savent, ce jeune garçon désinvolte est mon petit-fils. Et vous savez quoi ? Il veut devenir pharmacien. Ta grand-mère et moi en sommes très fiers. N’est-ce pas Juliette ?, poursuit Julien en regardant sa femme debout devant lui.
Le pharmacien est heureux de revoir des visages bien connus. Il y a Kenza, Marion, Lou, Damien, Alice, Théo, Christèle, Marilyne…
- C’est fou comme le temps passe vite, reprend Julien. Je me revois étudiant, pour mon premier jour de stage. Le stagiaire précédent m’avait laissé un petit mot très sympa. Je l’ai gardé bien précieusement (cf. Épisode 1). Il y a tout juste quarante ans, je devenais titulaire associé de la Pharmacie du Marché et papa pour la première fois. C’était en 2025. En rangeant mes affaires, j’ai retrouvé un numéro du « Quotidien du pharmacien » de cette grande année. Pour les plus jeunes, sachez que nous recevions encore des éditions papier en 2025…
- C’était la préhistoire, lance le jeune Jacques.
- Mais au moins, nous conservons des traces de ce passé grâce à la presse professionnelle. De quoi était-il question dans ce numéro ? Des ruptures de stock, des nouveaux médicaments, des négociations entre nos syndicats et nos autorités de tutelle… Il y a aussi un article sur un énième assaut de Leclerc – pour les plus jeunes, c’était une enseigne de supermarché – pour vendre des médicaments. Il y a quarante ans, on se demandait si la pharmacie allait survivre. Finalement, nous sommes toujours là mais la plupart des vautours de l’époque ont disparu.
Des applaudissements se font entendre.
- Grâce à la technologie, nous avons réussi à nous affranchir de ces tâches logistiques pour nous concentrer sur notre métier : prendre soin, sécuriser, accompagner. J’ai souvent imaginé l’avenir du métier. Et ce que je constate aujourd’hui me rassure. Bien sûr, il y aura toujours des anciens pour dire que c’était mieux avant, pour exprimer leur regret ou leur colère de ne pas avoir su protéger le monopole, de ne pas avoir maintenu ce maillage dont nous étions si fiers au début des années 2000. Mais la pharmacie est une profession vivante, et parce qu’elle est vivante, elle évolue. La Pharmacie du Marché a survécu à ces épreuves. Aujourd’hui elle est devenue un véritable centre de santé. Je salue l’esprit visionnaire de Karine, la pharmacienne qui m’a tout appris. Quand les premières missions de services, de prévention, d’accompagnement ont été créées, elle n’a pas hésité à les développer.
Des murmures traversent l’assemblée. Les invités s’écartent tandis qu’une vieille dame avance vers Julien, d’un pas déterminé.
- Karine ! Tu es venue…
- Julien, je n’aurais raté cela pour rien au monde.
(À suivre…)