- C'est un cancer. Il fallait bien que j'y passe. On dirait que c'est à la mode, soupire le patient septuagénaire en tendant son ordonnance à la titulaire de la Pharmacie du Marché.
Avant de répondre, Karine prend rapidement connaissance des médicaments inscrits sur le papier : triptoréline 11,25 mg LP.
- Vous avez eu votre rendez-vous à l'hôpital avec l'urologue ?
- Oui, hier. Il m'a dit que ça se soignait bien la prostate. Vous en pensez quoi, vous ? Il dit ça pour me rassurer ?
- Il a raison, ce médicament va bloquer le développement du cancer. Je vous le commande, nous ne l'avons pas en stock. Et ce sera une injection par mois…
Surpris, le patient reprend la pharmacienne :
- Vous êtes sûre ? Le médecin m'a parlé d'une injection tous les 3 mois. D'ailleurs dans 3 mois, je me fais opérer. Un rabotage de la prostate comme il dit…
- Mais oui, bien sûr. Pardonnez-moi… Heureusement que vous suivez, sourit la pharmacienne un peu gênée. Voilà le ticket de promis. Vous repassez demain ?
- Demain je veux bien, mais c'est férié. Hé hé, vous êtes fatiguée docteur on dirait !
Une fois le patient parti, Karine se retire dans le back-office. Depuis le matin, elle commet erreur sur erreur, suscitant une irritation grandissante. Plus elle est en colère contre elle-même, plus elle perd ses moyens et enchaîne les fautes. Alors que Marion vient lui exposer un problème d'interaction médicamenteuse, la titulaire reste muette.
- Tu en penses quoi Karine ?, insiste l'adjointe.
- Je ne fais que des bêtises aujourd'hui, alors je ne suis pas certaine d'être de bon conseil.
- C'est un manque de concentration. Et puis c'est plutôt bon signe d'admettre ses erreurs. Ça rend plus vigilant, non ?
Karine se pince les lèvres :
- Hum, ça me met dans un état… Je suis très en colère contre moi-même. Ce matin, je suis restée bloquée devant un test antigénique. Il n'y avait qu'une barre, la barre de contrôle, mais va savoir pourquoi, je me suis mis dans la tête que le test n'était pas interprétable. Depuis près de deux ans que je fais des tests, ça me rend folle…
- Tu es fatiguée, c'est tout. Depuis combien de temps tu n'as pas pris de vacances ?
- Tu as raison, vivement samedi.
- Alors, vous partez en Guadeloupe ? Ça va te faire du bien.
- J'en rêve. J'ai hâte de retrouver une amie de promo. Ma meilleure amie en fait. Elle est installée au Moule.
- Karine, Marion, vite. Venez à l'accueil, les interrompt Christèle.
Les deux pharmaciennes accourent et trouvent Madame André sanglotant, entourée d'Emmanuel et Kenza.
- J'allais fermer quand Madame André est entrée, toute paniquée. Si j'ai bien compris, son mari a disparu. Elle pensait qu'il était ici, explique Kenza.
- Madame André, que vous a dit votre mari ?, tente Karine.
- Qu'il venait chercher ses médicaments. Qu'il n'en avait pas pour longtemps. Mais il est parti depuis 16 h 00 quand même !
- Vous avez appelé vos enfants ?
- Non, je ne veux pas les inquiéter.
Karine, Marion et Emmanuel s'éloignent pour échanger :
- Je ne suis pas sûr qu'elle soit consciente de l'état cognitif de son mari. Il perd complètement la tête. J'en avais parlé à son médecin (voir l'épisode 180).
- Il vient à la pharmacie quasiment tous les jours pour qu'on lui renouvelle son ordonnance. Il est complètement désorienté.
- Il faut appeler les gendarmes, décide Emmanuel.
Alors que le préparateur court vers le téléphone, Karine rejoint Madame André :
- Madame, nous allons prévenir la gendarmerie. Est-ce que vous avez une idée d'un lieu où il aurait pu se rendre ?
- C'est ma faute, c'est ma faute. Je n'aurais pas dû le laisser partir. Il fait n'importe quoi, je dois toujours le surveiller. Mais vous comprenez, j'étais à moitié assoupie tout à l'heure. Il me fatigue… Cette nuit, il s'est mis en tête qu'il fallait faire le plein d'essence. Et c'est chaque nuit pareil.
- Madame André, on va le retrouver. Vous allez rester ici, avec nous. On va aussi appeler votre fils. Il faut le prévenir.
- Les gendarmes arrivent dans un instant. Madame, qui s'occupe de préparer le pilulier pour votre mari ?, demande Emmanuel.
- Moi pardi !
(À suivre…)