Depuis la fermeture, en 2003, de l'usine textile Navarre, créée en 1838, ce quartier au sud-ouest d'Évreux (Eure) a bien changé. Vivant et populaire, il est devenu une « banlieue », pour Guy Mailhan, le pharmacien du quartier. Pour l'administration parisienne, c'est même un « quartier prioritaire », traduire en grande difficulté.
La désertification médicale l'a décidé à réagir. Il s'est équipé d'un appareil de télémédecine. Le confrère, aujourd'hui âgé de 72 ans, avait pourtant anticipé. Venu de l'industrie, il s'était installé dans les années 1980. En 1989, un « mini-cabinet médical ouvrait sur fonds entièrement privés » : un médecin, un dentiste, un kiné, un cabinet infirmier, et la pharmacie, avec une porte sur la rue et une autre face au cabinet. Après le départ à la retraite du médecin, il y a déjà plusieurs années, non remplacé, Guy Mailhan voit son chiffre d'affaires chuter. Le quartier de Navarre compte 7 000 habitants et un seul médecin.
L'appareil de télémédecine est loué à la société Médadom, qui fournit aussi la prestation d'un pool de médecins. Le patient vient à la pharmacie, sans rendez-vous. Il est mené dans une pièce de confidentialité, s'assoit devant la machine et branche sa carte Vitale. S'il est déjà abonné, il est connecté en quelques minutes avec un des médecins du pool. « Ils sont assez fixes, je reconnais leur voix », précise Guy Mailhan, qui se tient à côté du patient pour l'aider dans l'utilisation des outils d'auscultation.
Quand le patient vient pour la première fois, il reçoit sur son smartphone un numéro d'abonné, et la consultation peut commencer. Un écran permet au patient de voir en direct le médecin qui le consulte. Il a enfilé un casque micro sur une charlotte, et une caméra au-dessus de l'écran le filme pendant la consultation, caméra reliée par un prolongateur, si le patient doit montrer une partie de son corps au médecin.
Un pupitre reçoit les outils d'auscultation : thermomètre, tensiomètre, otoscope, stéthoscope, dermascope, pince pour la saturation, etc. À la demande du médecin, le patient fait lui-même, ou aidé par le pharmacien, les observations nécessaires.
« L'appareil peut troubler au départ, mais les patients s'adaptent vite, remarque Guy Mailhan. Même les personnes âgées le demandent et ne paraissent pas du tout impressionnées. Cela tient beaucoup à la qualité de la relation humaine donnée par le médecin. »
La pharmacie de Navarre a loué l'appareil pour 24 mois, mais on peut penser qu'elle renouvellera sa location. Guy Mailhan a tablé sur trois consultations par jour : un mois après le démarrage, le 1er septembre, plus d'un patient par jour en moyenne avait été téléconsulté. Selon le confrère, beaucoup de patients viennent « en détresse », faute de trouver un rendez-vous « physique ». Il cite ce marinier, en service sur la Seine sans débarquer pendant deux ou quatre semaines, sorti de la téléconsultation avec une ordonnance de codéine, « et renouvelable ».
« La mairie d'Évreux (47 000 habitants) n'a rien fait pour le quartier de Navarre, alors que le maire est médecin, affirme Guy Mailhan. J'avais toujours pensé qu'une officine était le lieu du médicament (il ne vend pratiquement pas de para). Je pense que c'est le point santé d'un quartier, la télémédecine en est un service. »