- Karine Dupré, vous vouliez nous parler des prescriptions de stupéfiants, dit le président de la CPTS sans enthousiasme. Vous avez la parole.
Sans tomber dans le piège des doléances, Karine commence à exposer la situation :
- Depuis quelques semaines, nous sommes de plus en plus confrontés à des ordonnances suspectes de produits recherchés pour alimenter des trafics illégaux, tels que le fentanyl ou la prégabaline. À la pharmacie, nous ne pouvons pas juger de la pertinence médicale de ces prescriptions, mais plusieurs indices nous conduisent à refuser les délivrances. En général, ces patients ne sont pas connus de notre officine, n'ont pas de carte Vitale ni de droits à jour, et cetera. Ce refus entraîne malheureusement des comportements violents envers nous, comme cela a été le cas il y a peu avec un certain monsieur Z.
- Mais les ordonnances dont vous parlez sont-elles recevables d’un point de vue réglementaire ?, l’interrompt un médecin, visiblement heureux d’en découdre avec un pharmacien.
- Oui. Ordonnance sécurisée, prescription écrite correctement, mais…
- Alors où est le problème ?, rétorque le médecin d’un ton triomphant.
- Le problème, c’est que certains d’entre nous sont complaisants, et heureusement que le pharmacien fait barrage. D’ailleurs ces prescriptions faciles nous posent problème aussi à nous, médecins. Les patients ne comprennent pas qu'on leur refuse une prescription sous prétexte qu'un autre médecin leur accorde, intervient Frédéric Breton.
- Complaisant ? Comment osez-vous dire cela alors que nous faisons 70 heures par semaine pour être payés des clopinettes par la Sécu…
- C’est un autre sujet Michel, l'arrête le président de séance. Docteur Joury, vous vouliez intervenir je crois ?
L’homme hésite puis commence à marmonner :
- Je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour, et pourtant…
L’auditoire est attentif. L’homme respire profondément, visiblement ému :
- Si la complaisance existe, elle n’est pas toujours volontaire. C’est une protection. On prescrit… Je prescris pour ne pas me faire tabasser.
Le regard fixé sur Karine, il poursuit :
- Vous avez eu raison d’en parler ici. C’est difficile de l’admettre, mais il faut que vous sachiez que depuis plusieurs semaines, ce monsieur Z que vous avez cité m’extorque des ordonnances de fentanyl et me menace dès que je montre un signe d’opposition. Contrairement à vous, je suis seul dans mon cabinet. Et j’ai peur.
Un silence pesant envahit la salle, alors qu’à l’extérieur, on entend le traiteur et ses employés mettre en place le buffet organisé par la CPTS pour ses adhérents. Après quelques secondes, le président de séance reprend la parole :
- Nous allons te soutenir Alexandre. L’exercice coordonné, c’est aussi la solidarité entre les professionnels de santé, d’autant plus quand il s’agit d’une agression.
Puis, se tournant vers Karine :
- Ce n’est certainement pas la réponse que vous souhaitiez, mais grâce à votre alerte, nous mettons le doigt sur un problème particulièrement grave.
À suivre…