Assis dans leurs fauteuils, Élisabeth et François Pontignac attendent, les yeux rivés sur la télévision. Ils regardent sans les voir les images de guerre diffusées sur l'écran.
- Maman, papa, vous êtes toujours en attente ?, dit J-C en se penchant pour embrasser ses parents.
Autour de lui, les murs verdâtres marqués de coups et les sols dépareillés, témoignant des nombreuses tentatives de réagencement de l'espace, donnent au lieu un aspect vieillot et fatigué. La lumière blanche et agressive des néons termine ce tableau triste.
- On ne s'occupe pas de vous ? Pourquoi attendez-vous ici ? Et pourquoi vous n'avez pas appelé les pompiers ou le SAMU ?
Le couple se regarde. La mère prend finalement la parole :
- Ton père a insisté pour qu'on vienne aux urgences, mais franchement je me demande ce que nous faisons là. J'ai juste eu un petit vertige. On ne va pas déballer l'artillerie pour si peu.
- Un vertige ? Ta mère est tombée et je ne suis pas sûr qu'elle n'ait pas perdu connaissance, rétorque François Pontignac.
Son épouse hausse les épaules.
- Tu t'es blessée maman ? Tu te tiens le bras…
- Oui il me fait mal. Mais j'aurais pu aller voir directement mon médecin plutôt que de venir perdre mon temps dans ces urgences… Tu as vu cette pagaille ?
Près d'eux, des personnes s'activent tandis que d'autres discutent. Des patients en file attendent devant un des quatre guichets d'accueil, le seul ouvert, sans trop savoir s'ils sont à leur place.
- Quelle organisation en effet ! Heureusement qu'on est plus ordonné à la pharmacie ! Il n'y a même pas de signalétique pour savoir où s'adresser… Madame s'il vous plaît, tente le pharmacien en interceptant un membre du personnel.
- Oui ?
- Mes parents sont ici depuis près d'une heure ; ma mère a eu un malaise et…
- Vous avez fait l'admission ?, demande la jeune femme prête à filer.
J-C regarde ses parents pour avoir une réponse.
- On nous a dit d'attendre là, c'est tout, répond son père.
- Mais il faut avant tout vous présenter au guichet là-bas.
Sans un mot de plus, la jeune femme s'éclipse.
- C'était qui celle-là ?, demande Élisabeth. On ne sait même pas à qui on s'adresse ici… Si c'est un médecin, une infirmière ou une femme de ménage. Quand je pense qu'il y a 30 ans, un inspecteur m'avait embêtée parce qu'il estimait que mon badge de pharmacien n'était pas assez lisible… Donc il faut qu'on aille au guichet là-bas ?
Comprenant que ses parents n'ont pas encore signalé leur présence, J-C s'approche de la file d'attente. Après vingt longues minutes, il retrouve ses parents.
Lorsqu'une femme, une infirmière certainement, vient chercher Élisabeth, J-C se lève et commence à les suivre.
- Non Monsieur, vous devez attendre ici.
- Mais je suis pharmacien, je peux quand même accompagner ma mère pour échanger avec le médecin.
- La règle est la même pour tous, pharmacien ou non, lui rétorque la femme avant d'emmener Madame Pontignac.
J-C se retrouve avec son père. Le pharmacien retraité tape sur le genou de son fils :
- Ne t'inquiète pas, on parlera au médecin dès qu'on le pourra.
(À suivre…)