À la fois par une intransigeance d'acier quand des dirigeants occidentaux, dont Emmanuel Macron, ont tenté de le dissuader d'entrer en guerre contre Kiev et par un passage à l'acte surprenant même s'il était attendu, Vladimir Poutine a montré son mépris pour le peuple ukrainien, son indifférence au sujet du sort de ses propres soldats, son refus de prendre en compte le droit international et sa volonté de l'emporter par la force et non par le dialogue. Si une guerre est toujours effroyable, Poutine a ajouté son grain de sel en insérant dans son discours des formules comme « génocide » ou « nazis » qui s'appliquent plus à lui-même qu'à ses ennemis. Lesquels ne sont agressés de la manière la plus impitoyable (il a promis de les arrêter et de les traîner en justice) que parce qu'il fait une obsession sur l'Ukraine, comme si cet État dont il s'empare était indispensable à la survie de la grande Russie.
Assurément, Poutine a bousculé durablement l'ordre européen. Il n'a pu reconstituer partiellement l'Union soviétique de naguère qu'en plongeant dans le chaos l'Europe de l'Est, à un coût extraordinairement élevé, que la Russie va payer tout autant que l'Union européenne et les États-Unis. Il ne se pose même pas la question de la solidité du glacis qu'il entend reconstruire en s'appuyant sur des présidents fantoches dont l'unique qualité est la vassalité et qui sont détestés par leurs peuples.
Une victoire à la Pyrrhus
Il n'a pas réfléchi davantage aux difficultés à venir d'une Russie déjà affaiblie par une économie fragile, une monnaie en chute libre et toutes les formes d'embargos et de sanctions économiques qui seront d'autant plus sévères qu'aucun régime démocratique n'envisage de riposter militairement à la Russie. L'aventure sinistre que Poutine a lancée est sans avenir. On peut s'en convaincre au moment où il triomphe par les armes : ce sera une victoire à la Pyrrhus que les souffrances des Ukrainiens et l'injustice du comportement russe rendra intolérable à tous ceux qui, contrairement à cet ancien agent du KGB, sont indignés par son comportement de dictateur et de voyou.
En attendant, nos préoccupations de civilisés, au sujet du prix des carburants par exemple, n'ont plus cours. Même si nous ne mourrons pas pour Kiev, nous devons un minimum de solidarité non seulement aux Ukrainiens mais aux Russes hostiles à la guerre, aux Biélorusses livrés au bon plaisir d'un imbécile aux ordres du Kremlin et à tous ceux qui, aux frontières de la Russie, pays baltes, Pologne, Finlande, sont secoués par un acte sans précédent depuis 1945. Il fallait un nostalgique de l'URSS pour en revenir à l'Armée rouge et à la résolution des conflits par la force. Le bruit et la fureur de la campagne d'Ukraine seront suivis par le silence et la sidération de peuples sur la défensive mais en colère.
Poutine veut avoir sa place dans l'histoire. Il vient de la gagner. Il peut en avoir une plus grande s'il met à exécution sa menace d'utiliser l'arme nucléaire contre l'OTAN, comme il l'a fait dans le discours qu'il prononcé à l'aube, jeudi dernier. On dirait sans réserves qu'il est fou, tout simplement, si on ne voyait dans ce terme une forme d'excuse. Il est fou, certes, mais il a le doigt sur le bouton atomique. Cela suffit pour en faire l'homme le plus dangereux de la planète. Cela suffit pour que les démocraties lui opposent un non ferme et définitif et appuient leur jugement sur tous les moyens propres à affaiblir ce tzar de pacotille qui les harangue depuis le Kremlin parce qu'il a la possibilité de détruire le monde, et la Russie avec lui.