- Je n'ai plus ce collyre en stock Madame. Je vous le commande, nous l'aurons cet après-midi. Votre opération est prévue quand ?, demande Kenza tout en poursuivant la facturation.
- Mardi prochain. Je ne viendrai peut-être pas chercher le médicament aujourd'hui, répond la vieille dame, les deux mains posées sur sa canne.
- Pas de problème, le principal est que vous ayez tout la veille de votre opération. Je vais vous expliquer comment prendre tous ces collyres, c'est un peu compliqué.
Depuis le matin, la pharmacienne est rodée à l'exercice ; elle enchaîne les dispensations d'ordonnance pour opération de la cataracte, comme s'il y avait une épidémie.
- J'entends que votre collègue explique la même chose à côté. Je ne suis donc pas toute seule à me faire opérer des yeux, sourit la patiente.
- Oh que non ! C'est d'ailleurs pour ça que notre stock de collyre est à zéro ce matin, enchaîne Kenza dont le regard se trouve soudain attiré par un homme suivi de près par Gisèle.
- Monsieur ! Monsieur, vous ne pouvez pas entrer avec votre trottinette. Je vous prierai de la laisser dehors, l'interpelle fermement l'hôtesse d'accueil de la pharmacie.
- Pour qu'on me la vole ? Sûrement pas. Je ne dérange personne d'ailleurs. Vous acceptez bien les poussettes, rétorque l'homme avec aplomb.
- Dans ce cas, vous la laissez à l'accueil. Mais vous ne pouvez pas venir dans l'espace de dispensation avec cette trottinette.
L'homme se ravise en grimaçant, et accepte la proposition de Gisèle. En une matinée, cette dernière a dû intervenir trois fois auprès de propriétaires de trottinette. Avant de revenir au comptoir d'accueil avec l'engin, elle échange quelques mots avec Nicole la préparatrice :
- C'est infernal ! Les gens prennent la pharmacie pour un garage à trottinettes. Pourquoi on n'accepterait pas les vélos tant qu'on y est !
- Et encore, tu leur proposes de garder les trottinettes à l'accueil. C'est gentil. Avec moi, elles resteraient dehors, sans compromis.
- À la pause déjeuner, je vais en toucher deux mots à J-C. Un panneau à l'entrée ne serait pas de trop. Je vais lui proposer.
Dans le bureau, J-C s'apprête à attraper sa veste lorsqu'on frappe à la porte.
- J-C, j'ai encore intercepté trois trottinettes ce matin. C'est devenu insupportable, explique Gisèle au titulaire.
- Trois ! C'est vrai que c'est insupportable. Sur la route aussi d'ailleurs. En plus, les gens sont imprudents : et vas-y que je te coupe devant, et sans casque en plus…
- Si on mettait une affiche d'avertissement sur la porte d'entrée ?
- Interdit aux trottinettes ? C'est une bonne idée. On va quand même attendre le retour de Karine pour en discuter.
Par habitude, J-C prend rarement de décision, même minime, sans l'avis de son associée.
- Mais elle ne revient que dans une semaine !, s'exclame l'hôtesse d'accueil dépitée.
- Oui, effectivement, on peut se passer de son accord si ce n'est que pour ça, concède le pharmacien. Allez-y, vous avez mon feu vert. Faites l'affiche et collez-la sur la vitre à côté de la porte, juste en dessous de l'autocollant de certification qualité.
(À suivre…)