À l’occasion des Entretiens de Galien, le jeudi 23 janvier à Lyon, le Pr Gilles Aulagner de l’Académie nationale de pharmacie et le Pr Maurice Laville, néphrologue à Lyon, ont annoncé avoir déposé auprès de l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne Rhône Alpes une demande d’expérimentation au titre de l’article 51 d’un dispositif de dépistage en officine de l’insuffisance rénale chronique. La réponse de l’ARS et de la Direction générale de l’offre de soins est attendue début février. Objectif affiché, le lancement du dispositif à la fin du mois ou « au plus tard début mars, a précisé le professeur de pharmacie clinique, nous avons déposé la demande il y a déjà 3 mois, les procédures administratives contraignent à la patience. » L’expérimentation durera 3 ans et sera pilotée conjointement par les deux professeurs. Elle s’implantera dans les régions Auvergne Rhône Alpes, Pays de la Loire, Nouvelle Aquitaine et Provence Alpes Côte d’Azur. « Nous voulons que le plus de pharmacies possible prennent part à ce dépistage, pour que le maximum de patient y soit inclus » a insisté Gilles Aulagner, précisant aussi que des associations de patients et des groupements pharmaceutiques joueront un rôle dans l’expérimentation. Les discussions avec les différents acteurs étant toujours en cours, la liste de ces derniers ne sera rendue publique que « lorsqu’elle sera fixée ».
Questionnaire puis dosage
Le pharmacien sera chargé d’identifier les patients éligibles via une liste de facteurs de risques, détaillés par la Haute Autorité de santé. Aux premiers rangs desquels le diabète, l’hypertension artérielle (traitée ou non), la maladie cardiovasculaire athéromateuse, l’insuffisance cardiaque et l’obésité. Le praticien pourra proposer au patient de remplir un questionnaire puis, à l’issue de celui-ci, un dépistage qui se fera par dosage de la créatininémie. La créatinine est un produit du métabolisme musculaire éliminé exclusivement par les reins. Lorsque la fonction rénale est diminuée d’au moins 50 %, la créatininémie commence à augmenter. Elle peut cependant rester basse longtemps si la masse musculaire est faible, comme chez les personnes âgées. La créatininémie permet ensuite le calcul du débit de filtration glomérulaire (DFG), quantifiant la fonction rénale. Les maladies rénales chroniques sont classifiées en cinq stades. Au stade 1 la fonction rénale est peu diminuée et à partir du stade 3, le patient souffre d’insuffisance rénale chronique (IRC). Ce stade est divisé en deux, le stade 3A et le stade 3B. Lorsque la valeur du DFG descend en dessous 60, le patient souffre d’une IRC. Un dispositif léger et portable réalisant le calcul sera mis à disposition des pharmaciens prenant part à l’expérimentation. Le résultat permettra au pharmacien d’évaluer si le patient est à risque ou non et au besoin de l’adresser vers un médecin pour des tests complémentaires.
Le pharmacien occupe une place stratégique dans la prévention et la détection des IRC
Lorsque les reins ne fonctionnent plus correctement, de nombreux médicaments se concentrent dans l’organisme, et notamment le sang, où ils peuvent atteindre des niveaux toxiques. En 2018, une étude menée sur plusieurs milliers de personnes souffrant d’insuffisance rénale avait montré que la moitié d’entre elles prenait au moins un médicament inadapté. Le pharmacien occupe donc une place stratégique dans la prévention et la détection des IRC.
Une étude pilote conduite par Maurice Laville en 2021 dans la région Auvergne Rhône Alpes dans 25 officines et sur 691 patients avait conduit à 511 dépistages et 180 refus. Au total, 147 patients avaient découvert leur IRC réparti ainsi : 97 patients au stade 3A, soit 19 %, 40 patients au stade 3B, soit 8 %, et 10 patients au stade 4, soit 2 %. Selon les chiffres de la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation, près de 3 millions de personnes souffriraient d’une MRC et près de 90 000 malades sont traités pour une insuffisance rénale chronique terminale, le stade le plus avancé de la maladie. Un chiffre auquel environ 10 000 patients viennent s’ajouter chaque année.
Le pharmacien d’officine : un métier adolescent
L’exercice de la pharmacie en officine a connu des mutations considérables ces dernières années. De ses fonctions historiques de dispensateur de produits de santé, le pharmacien d’officine devient chaque année un peu plus acteur de service de santé. Ce sont ces évolutions qui ont conduit Philippe Besset, président de la FSPF, à utiliser l’expression de métier « adolescent » lors de sa présentation durant les Entretiens de Galien à Lyon. Ce « métier adolescent bâtit sur des fondations millénaires » aurait selon ce dernier précisément 16 ans. Le tournant se situerait en 2009, lorsque les pharmaciens ont été autorisés à substituer, s’affranchissant pour la première fois du monopole médical. Par la suite, la rémunération à l’acte et non plus à la dispensation marque un tournant majeur dans l’exercice du métier.
L’antibiorésistance augmente en France
En termes de consommation d’antibiotiques, la France est une mauvaise élève. Selon les chiffres du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), la France est le 5e pays le plus consommateurs d’antibiotiques, derrière la Roumanie, Chypre, la Bulgarie et la Grèce. Santé publique France (SPF) a estimé que 39,4 % des patients, soit 26,8 millions, avaient reçu au moins une prescription d’antibiotiques en 2023. Résultat, les niveaux d’antibiorésistance augmentent. En France, le nombre de morts dus à une infection bactérienne résistante a dépassé celui des morts sur la route (5 500 contre 3 600 en 2015). C’est là tout l’intérêt des Tests rapides d’orientation diagnostique (TRODs). Une utilité méconnue par le grand public. En effet, un questionnaire soumis à 362 participants dans 3 pharmacies de la région Auvergne Rhône Alpes avait conclu que seuls 16 % des interrogés pensaient que les TRODs avaient pour objectif d’agir sur l’antibiorésistance. En 2024, 80 % des officines ont réalisé des TRODs et seulement 23 % de ces derniers ont donné lieu à une dispensation, de quoi agir efficacement sur la consommation d’antibiotiques. Attention toutefois aux critères d’exclusion. En cas de fièvre notamment (38 °C pour la cystite et 39,5 °C pour l’angine) le patient doit immédiatement être dirigé vers un médecin.