Alors qu'elle termine sa salade tomate/quinoa/mozzarella, Marion commence à feuilleter le journal posé sur la table, près d'elle. Après avoir survolé l'actualité professionnelle, son regard se pose sur un article de François Tassain. Absorbée par sa lecture, elle ne remarque pas l'entrée de Damien et Christèle.
- Tu prends un café Marion ? demande la préparatrice tout en piochant une capsule dans la boîte.
- Vous avez vu cette histoire ? Cette pharmacienne qui a prévenu la gendarmerie pour sauver une femme battue. C'est admirable. Je ne sais pas comment j'aurais réagi à sa place…
Sans répondre à la question de sa collègue, Marion poursuit sa lecture. Christèle n'insiste pas.
- J'en ai entendu parler à la radio. Comme quoi, le message passe, reprend Damien.
Christèle, les lèvres sur sa tasse, fronce les sourcils :
- C'est très bien ce qu'a fait cette pharmacienne. Elle a entendu le SOS de cette femme, elle a réagi en appelant la police, et cetera… Mais je me souviens de ce que m'avait dit une amie éducatrice qui bosse à l'UDAF. Elle s'occupe justement des victimes de violences familiales. Elle m'avait mis en garde contre ces situations. Pour faire simple, la victime qui lance un appel au secours ne doit pas se sentir prise dans un engrenage qu'elle ne contrôle plus. Au risque qu'elle se referme sur elle-même, qu'elle nie même les violences. Par peur des représailles, mais aussi parce qu'elle a appris à vivre avec cette violence.
- Mais on ne peut pas rester sans rien faire non plus. S'il y a danger, c'est la police, tranche Damien en s'étirant.
- Oui, mais après la police, qu'est-ce qu'il se passe ? La plupart du temps, rien. L'agresseur est libéré, et retrouve la victime.
- Je comprends bien. Mais comme dit Damien, si une cliente nous lance un SOS, on doit agir comment ?, interroge Marion.
- On essaie de laisser ouverte la porte que la victime a entre-ouverte. Sauf s'il y a danger imminent, c'est-à-dire une menace avec une arme, il vaut mieux l'orienter vers le 3919, et vers des associations qui vont l'aider à sortir de ce cercle de violence.
- Je me suis d'ailleurs demandé si parmi nos clientes, il y avait des victimes de violences, dit Damien en se levant pour enfiler sa blouse. La famille Lambert peut-être… Quoique je ne sais pas qui tape l'autre.
- C'est toujours difficile de savoir. On s'imagine la victime comme une personne triste, couverte de bleus, mais ce n'est pas le cas. La plupart du temps, les victimes font tout pour qu'on ne s'aperçoive de rien, explique Christèle.
- Tu sembles en connaître un rayon, plaisante Damien.
La préparatrice se tait, puis timidement, les regarde :
- J'ai eu un petit copain violent. Il était schizo, et petit à petit, moi, je plongeais. Je me disais même que c'était normal. Une fois, une copine a voulu m'en parler et comme une conne, j'ai défendu mon mec. Heureusement, ça n'a duré qu'un an. Il est parti avec une autre.
Marion effleure la main de sa collègue :
- En tout cas, je pense vraiment qu'on devrait se former. Elle pourrait venir à la pharmacie ton amie ?
En descendant de l'étage, les trois collègues croisent un homme en compagnie de Karine. Ils entrent dans le bureau.
- C'est qui ?, demande le préparateur.
- Ton remplaçant peut-être…
(À suivre)