Le gouvernement a posé les jalons d’une « nouvelle stratégie en matière de prévention et de gestion des pénuries », notamment en établissant « une liste de 450 médicaments critiques (mise à jour en janvier 2024), dont 100 à 150 pour lesquels existe une vulnérabilité industrielle », a rappelé le Pr Stéphane Honoré, président de la Société française de pharmacie clinique et responsable OMédit (Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique) PACA-Corse. L’État a également sélectionné plusieurs projets de relocalisation et la dynamique est amorcée. Mais le chantier est de longue haleine.
Le coût de la souveraineté
Aguettant est un bon exemple de laboratoire ayant renforcé ses capacités de production de produits de santé. Ancré en France depuis sa création il y a 120 ans, avec deux sites de production à Lyon-Gerland et Champagne en Ardèche - où s’est rendu Emmanuel Macron, en juin dernier, pour annoncer le soutien du gouvernement à la relocalisation de la production de médicaments essentiels -, une plateforme logistique à Saint-Fons (Rhône) et 547 employés, Aguettant est un laboratoire indépendant 100 % français. Déjà réputé en milieu hospitalier pour ses produits d’urgence d’anesthésie-réanimation et de neurologie (seringues préremplies, poches de solution, stylos injectables…), il a procédé à de gros investissements pour accroître ses capacités et répondre en priorité aux besoins de l’Hexagone - assurés à 100 % pendant la crise du Covid-19. Mais aussi pour poursuivre son développement à l’international. Malheureusement, « le réglementaire impacte fortement notre activité et pénalise les performances de nos produits. Je ne suis pas sûr que cela soit pris en compte… De plus, la souveraineté a un coût qui nous gêne aussi », résume Éric Rougemond, CEO du laboratoire. Même s'il reste optimiste, la partie lui semble loin d’être gagnée. « Les réponses doivent être volontaristes et collectives et une cohérence stratégique est nécessaire. On ne peut pas en changer tous les 3-4 ans. Il faut également augmenter les capacités financières ; aujourd’hui, les pouvoirs publics ne favorisent les projets qu’à 15 %. »
Sauveteur de médicaments en détresse
Pour Philippe Grit, directeur des affaires industrielles du Laboratoire Delbert, les écueils apparaissent également nombreux. L’aspect financier est capital : « Si nous ne faisons pas 30 % de marge sur des produits au prix déjà très bas, c’est impossible. Le levier majeur est une démarche commune à l’échelon européen, mais je n’y crois guère. Essayons déjà au niveau français. » De fait, ce petit laboratoire français, créé en 2013 pour précisément maintenir et développer sur le sol français des médicaments dont l’absence nuit aux patients, a quelques réussites à son actif, au point d’être surnommé « sauveteur de médicaments en détresse ». Exemples de reprise de fabrication : l’amoxicilline injectable (devenue Xyllomac) dont le fournisseur unique arrêtait la production ; l’Extencilline, pénicilline injectable (1 seule injection) indiquée dans la syphilis, dont les pénuries étaient récurrentes ; et Téralithe (lithium), prescrit dans les troubles bipolaires. Delbert est aujourd’hui fort de 15 AMM fabriquées en Europe (60 % en France), dont les 3/4 sont des médicaments essentiels.
Situé à Saint-Génin-Laval (Rhône), Benta-Lyon, filiale française d’un petit groupe libanais après le rachat de Femar, a, quant à elle, deux activités à parts égales. D’un côté, elle conserve son expertise en sous-traitance avec la fabrication de principes actifs très matures (aspirine, paracétamol…) et d’autres molécules comme la forme sirop de la chloroquine. De l’autre, elle relocalise la production de médicaments génériques en comprimés. Six, qui n’étaient plus fabriqués en France, le seront dans le courant de l’été 2024 : clopidogrel, ciprofloxacine, furosemide, cyclophosphamide, clonazepam et diazepam.