Préserver le maillage des officines, trouver une rémunération cohérente et lutter contre la financiarisation de la profession sont des priorités, selon la Cour des comptes. L’instance émet des propositions radicales : rémunération à l’acte et non plus à la boîte, assouplissement des règles d’installation, révision de la règle du nombre d’adjoints par tranche de chiffre d’affaires…
Où sont les autorités de santé ? « Maillons essentiels du système de santé, les officines connaissent de nombreuses transformations dont le pilotage par les pouvoirs publics est dispersé et hésitant », conclut la Cour des comptes dans son rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, publié le 26 mai. Elle pointe plusieurs dangers : un maillage fragilisé, une rémunération mal adaptée et un risque de financiarisation.
Par exemple, les mesures décidées pour faire face à l’érosion du maillage officinal (aide jusqu’à 20 000 euros de l’assurance-maladie, possibilité d’ouverture d’une officine en zone fragile comprenant une commune d’au moins 2 000 habitants) sont « peu pertinentes » et le zonage pour définir un territoire fragile est « peu adapté ». « Il serait plus pertinent de recenser les pharmacies fragiles et essentielles, par exemple situées dans des communes sans médecin, à plus de dix minutes d’autres officines, ou avec un seul titulaire âgé de plus de 60 ans », suggère la Cour des comptes. De même, l’expérimentation d’antennes de pharmacies est jugée trop restreinte, avec seulement une antenne créée à ce jour et deux autres en projet, avec pour objectif l’ouverture d’une dizaine d’antennes d’ici 2028. La Cour conseille, en plus, des « solutions plus variées d’accès aux médicaments » comme le « pharma-bus », la livraison à domicile. Elle va même plus loin en conseillant de revoir les règles d’installation qu’elle juge trop « rigides » et « de moins en moins adaptées au maintien du maillage officinal ». Elle propose ainsi de sortir le critère de population pour adopter le critère de temps d’accès entre une nouvelle pharmacie et l’officine existante la plus proche, modèle déjà en place dans certains pays européens.
Davantage de missions
La Cour des comptes fait le même constat que les syndicats : la marge réglementée « s’est détériorée, malgré la progression du chiffre d’affaires ». La rémunération du pharmacien est encore trop dépendante des volumes de médicaments délivrés (74 % du chiffre d’affaires), « en contradiction avec les objectifs de réduction de la consommation de médicaments », estime l’instance. De plus, les nouvelles missions, leviers d’économies mais qui manquent encore de notoriété auprès du grand public, ne représentent que 4 % de la rémunération d’une pharmacie. La Cour regrette donc que les pouvoirs publics ne se montrent pas plus pressés pour lancer l’expérimentation du remboursement de substituts nicotiniques dispensés sans ordonnance, en attente depuis 3 ans, ou pour évaluer l’expérimentation Osys afin de la généraliser dès janvier 2026.
La Cour propose surtout un autre modèle économique, fondé sur une rémunération de la délivrance de médicaments à l’acte de dispensation au patient, indépendamment du nombre de boîtes vendues. Réponse de l’assurance-maladie : « Un transfert plus important de la rémunération liée aux volumes vers une rémunération de l’acte de dispensation aurait des effets significatifs sur la structure de rémunération des officines et impliquerait d’admettre soit des pertes significatives pour les officines concernées, le temps de réaliser les ajustements nécessaires, soit un investissement massif de l’assurance-maladie probablement incompatible avec le contexte budgétaire actuel. »
La Cour recommande aussi d’intégrer l’ensemble des remises sur les médicaments accordées par les fournisseurs, et les marges sur les dispositifs médicaux, dans la rémunération officinale.
Plus de place pour l’adjoint
Enfin, la Cour voit, elle aussi, le danger de financiarisation avec l’entrée de fonds d’investissement privés dans le capital des officines, appelant à renforcer le contrôle par l’Ordre des pharmaciens et la mise en place de garde-fous. « La place des pharmaciens adjoints est à repenser », estime encore l’instance qui recommande de « revoir » la règle relative au nombre d’adjoints par tranche de chiffre d’affaires et de « réévaluer » la part maximale de capital que peut détenir un adjoint, aujourd’hui plafonnée à 10 %.