En Belgique comme en France, la crise du Covid a donné un « coup d’accélérateur » aux nouveaux services, selon Alain Delgutte, qui présidait en 2020, au nom de la France, le Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE). Il rappelle que 38 nouveaux services ont ainsi vu le jour dans 32 pays.
« Nous vendions des masques et du gel au début, puis nous sommes passés aux tests antigéniques, à la vaccination et à la dispensation à domicile, tout en informant et rassurant la population », résume Éric Garnier au nom de la FSPF ; en Belgique, les pharmaciens ont surtout fait des préparations magistrales et de solutions antiseptiques, avant de vacciner à leur tour. Pour le président de l’Association pharmaceutique belge (APB), Koen Stretmans, « nous avons démontré notre utilité et su protocoliser ces actions : aujourd’hui, ces efforts débouchent sur de nouvelles missions rémunérées, comme l’aide au sevrage des benzodiazépines ou le suivi des patients polymédiqués ».
Si la Belgique autorise les chaînes et les propriétés multiples, les pharmaciens indépendants n’en restent pas moins majoritairement propriétaires de leur officine : 3 900 officines sur 4 650 appartiennent à un seul pharmacien, les autres appartenant souvent à des organismes sociaux ou à quelques groupes de franchisés. Éric Garnier regrette qu’il ne reste plus que trois pays européens, à savoir la France, l’Espagne et le Luxembourg, qui respectent scrupuleusement les « trois piliers de la pharmacie » formés par le monopole, l’exercice personnel et la répartition.
Mais les autres pays n’entendent pas pour autant laisser déraper leurs systèmes vers un libéralisme à tout crin, d’ailleurs de plus en plus dénoncé pour ses insuffisances. Ainsi, au Royaume-Uni, explique Alain Delgutte, des pharmaciens attaquent en justice des propriétaires de chaînes qui veulent leur interdire de faire des bilans de médication pourtant payés par le NHS, car cela fait baisser les ventes. En Suède, mais aussi au Québec, la mise en vente libre totale du paracétamol, parfois en boîte de 300 comprimés, a entraîné de tels surdosages que les autorités doivent mettre en place des mesures de protection du public.
Le modèle « cappuccino »
En matière de revenus, l’APB œuvre pour développer le modèle du « cappuccino », c’est-à-dire une rémunération en plusieurs couches. Alors que le médicament représente, via l’honoraire, 80 % de la rémunération officinale, les pharmaciens mènent d’autres activités comme, depuis 2017, les « pharmacies de référence » pour patients chroniques, avec des bilans de médication réguliers. De même, les pharmaciens travaillant avec les maisons de retraite touchent un honoraire non plus par boîte, mais par semaine d’activité, incluant leurs services réguliers sur place. Cette tendance se multiplie d’ailleurs dans de nombreux autres pays, complète Alain Delgutte, d’autant plus que les pharmaciens sont désormais en mesure de démontrer que 71 % de leurs nouveaux services font faire des économies à la Sécurité sociale.
Enfin, les pharmaciens belges peuvent se flatter d’avoir un temps d’avance sur leurs confrères français dans quelques domaines, dont celui de la prescription électronique. Obligatoire depuis quelques mois, elle permet aux médecins d’envoyer leurs ordonnances sur la carte d’identité des patients, qui la font ensuite honorer dans la pharmacie de leur choix. Pour Isabelle Zion, officinale française exerçant à Bruxelles, c’est un énorme gain en qualité et en sécurité pour les officines. Le système n’a qu’un défaut, ajoute-t-elle, mais de taille : « parfois le dispositif tombe en panne, et là, c’est vraiment la catastrophe, heureusement très rare ». Autre innovation majeure, encore en cours d’élaboration, les pharmaciens belges espèrent pouvoir prochainement délivrer eux-mêmes un certain nombre de médicaments prescriptibles non remboursables, ce qui ferait gagner un temps précieux aux patients, tout en délestant les services médicaux de ces missions.
Enfin, à l’heure de l’inflation galopante de ces derniers mois, les pharmaciens belges ont obtenu une revalorisation de 2 % de leurs honoraires le 1er juin, qui sera suivie de 6 % de plus en fin d’année. Attention toutefois aux contreparties, prévient Koen Straetmans : « En Belgique, l’indexation des salaires est automatique, si bien que nous avons déjà dû augmenter quatre fois nos adjoints et préparateurs depuis le début du phénomène, pour un total actuel de 8 %. »