Le mystère ne résulte pas des intentions de Poutine, elles sont claires : il veut envahir et soumettre l'Ukraine et, pour soutenir son objectif, il a massé cent mille soldats à la frontière de ce pays. Les Américains ont menacé la Russie de représailles sévères, mais seulement économiques. C'est un peu comme si la Russie et la Chine jouaient à un concours : qui serait le premier à déclencher un conflit majeur.
Nous sommes donc de retour à la guerre froide, avec un affaiblissement de la dissuasion nucléaire qui a été le moyen radical pendant près d'un demi-siècle pour empêcher tout conflit généralisé en Europe. Depuis l'annexion de la Crimée, les pays occidentaux ont adopté des sanctions économiques contre Moscou. Certes, elles ont contenu partiellement l'interventionnisme russe, mais elles ont aussi accru la paranoïa de Poutine, qui voit son pays encerclé par les armées occidentales et essaie de reconstituer le glacis soviétique.
La dissuasion nucléaire contient cet élément particulier de jouer aussi contre la folie des dirigeants. Ce n'est pas la première fois que l'on décrit les leaders occidentaux comme des fous furieux, héritiers de l'hitlérisme. Propagande pure dans laquelle les Russes excellent, parce qu'ils n'ont rien de mieux, comme argument, pour justifier leurs propres provocations. Entretemps, la menace d'une guerre, fût-elle limitée aux armes conventionnelles, s'accentue. D'abord, le réarmement échappe à tout contrôle, parce que la diplomatie a perdu son influence au profit de la politique de force ; ensuite, une ambition folle, structurée par le cynisme, conduit Poutine à prendre des risques nouveaux.
Comment éviter la guerre
Si Européens et Américains veulent éviter la guerre, que peuvent-ils faire pour empêcher Poutine de lancer ses troupes contre l'Ukraine ? L'effet des sanctions économiques n'est pas négligeable et il faut sans doute les renforcer. Encore faut-il y mettre du cœur et ne pas soupirer comme si les Européens y laissaient leur chemise. Jusqu'à présent, les Allemands défendaient la construction de leur pipe-line Nord Stream II, entre la Russie et la côte allemande. Le gazoduc est bientôt terminé et, heureusement, la ministre allemande des Affaires étrangères, Anna Baerbock, a déclaré officiellement il y a quelques jours qu'il ne serait pas mis en service si les forces russes franchissaient la frontière ukrainienne.
Il est peu probable que Poutine s'expose à un risque aussi sérieux. Il est encore moins probable qu'il accepte un tel camouflet, lui qui aborde les relations internationales avec la fierté d'un chef de bande encore adolescent. Mais l'essentiel est qu'il comprenne le message alors que, jusqu'à présent, il s'est contenté de conquérir des territoires par la force et de provoquer les troupes occidentales, sans donner la moindre chance au dialogue. Ce n'est pas un hasard si la condescendance de Poutine ne cesse d'augmenter : le marché du pétrole et du gaz lui est extrêmement favorable. Il n'a donc pas de mal à boucler son budget et à flatter le nationalisme russe d'une manière chaque jour plus dangereuse.
Dans cette affaire, le gouvernement français n'a cessé de se montrer lucide. Il ne minimise ni le danger ni la nature du mal. Il est curieux qu'il doive consacrer son énergie à la défense du choix des lieux de loisir du ministre de l'Éducation nationale.