- Allô Matthieu ? Oui je sais. Mais il y a un monde fou et je suis la seule pharmacienne. Arrête de râler s'il te plaît et écoute-moi : va dans la chambre et prends ma robe rose pâle, celle que j'ai achetée la semaine dernière. Prends aussi ma trousse de maquillage, les chaussures qui sont dans la boîte, sur la table du salon, et…
Tout en parlant, Karine jette un coup d'œil dans l'espace clients. La file d'attente des patients s'est encore allongée. Elle soupire :
- Et tu m'apportes tout ça ici, mon chéri, je me préparerai vite fait à la pharmacie.
Au comptoir, Emmanuel, Théo et Alice n'arrêtent pas d'aller et venir. Ce premier samedi de juillet est aussi le premier jour de mise en place des horaires d'été. La pharmacie doit fermer ses portes à 16 h 00. Il est 16 h 05. En raison des congés, l'équipe est en effectif réduit. En outre, Kenza, Christèle, Nicole, Gisèle, Marilyne, Lou, Marion et JC sont invités au mariage de Julien et Juliette, les anciens adjoints de la Pharmacie du Marché. Karine regarde l'horloge. 16 h 10. La cérémonie de mariage commence dans moins d'une heure.
- Oui Madame, nous recevrons le complément lundi. Je viens de commander la boîte manquante. Voici votre ticket de dû, explique la pharmacienne qui enchaîne les délivrances depuis une heure, sans répit.
Lorsque la patiente suivante lui tend sa prescription, Karine perd son sourire. « C'est une malédiction. On ne veut pas que j'assiste au mariage ! Un essayage de bas de compression, à cette heure-ci ! ».
- Vous aviez déjà eu des bas, Madame, il me semble ?
- Oui mais je voulais savoir si vous aviez d'autres coloris.
Karine s'apprête à répondre quand le téléphone de sa cliente sonne. Cette dernière répond puis raccroche.
- Je suis désolée. Il faut que je me dépêche. Des amis viennent d'arriver à l'improviste à la maison.
- Mais pas de problème Madame, répond la titulaire, ravie. De toute façon, j'aurais voulu reprendre vos mesures, mais il vaut mieux faire cela le matin.
Karine retourne dans le back-office où Matthieu, son mari, et Joseph, leur fils, l'attendent, tout endimanchés.
- Ouf, sauvée par le gong. Ça se vide.
- Oui, mais la croix est toujours allumée, rétorque Matthieu. C'est pour ça que les gens continuent à venir.
Pieds nus, la pharmacienne se rue vers le tableau et abaisse un bouton.
- Voilà, c'est réglé. Passe-moi la robe s'il te plaît. On a encore le temps d'être à l'heure…
Matthieu regarde sa montre :
- Pour le cocktail, c'est sûr. Pour l'échange des consentements, c'est pas gagné.
- Tu m'as épousée pour le meilleur et pour le pire, n'oublie pas !
- Si on m'avait dit que j'épousais aussi la pharmacie, j'aurais peut-être réfléchi deux fois, plaisante-t-il, évitant de justesse la chaussure de son épouse qui termine son vol aux pieds d'Emmanuel.
- La pharmacie est fermée. Je m'occupe de la caisse. Amusez-vous bien, dit le préparateur.
Lorsque les Dupré arrivent enfin, la cérémonie a commencé depuis une demi-heure. Sur l'envoûtante mélodie de Casta Diva, Julien et Juliette se disent « oui » pour la vie.
(À suivre…)