En Allemagne, où le tiers payant est généralisé, les pharmaciens ne sont pas directement rémunérés par les caisses de maladie des patients, mais par des « centres de données pharmaceutiques » qui leur paient l’ensemble des prestations délivrées. AvP est le plus gros centre « indépendant » d’Allemagne, plusieurs coopératives de pharmaciens disposant par ailleurs de tels centres. En pratique, les pharmaciens envoient les ordonnances honorées à leur centre de données, lequel se charge d’effectuer un certain nombre d’opérations administratives et de codage, puis de récupérer l’argent auprès des caisses avant de le reverser aux officines.
Début septembre, de nombreux pharmaciens ont commencé à s’inquiéter des retards de paiement de leurs ordonnances du mois d’août, d’abord imputés à des problèmes informatiques par AvP… Mais le 15 septembre, celle-ci s’est finalement déclarée en cessation de paiement. Peu après, le tribunal de Düsseldorf annonçait le lancement d’une procédure pour banqueroute, soupçonnant des malversations et des fraudes.
Double catastrophe
Pour les pharmaciens clients d’AvP, cette faillite subite est doublement catastrophique : d’abord AvP ne leur a pas reversé le montant de leurs délivrances de prescriptions du mois d'août, pourtant payé par les caisses, ce qui représente en moyenne 120 000 euros par officine et jusqu’à 400 000 euros pour les plus grandes d’entre elles. En outre, les pharmaciens perdent non seulement un mois d’activité, mais aussi le service comptable sans lequel ils ne peuvent travailler. Même si de nombreux grossistes ont promis de se montrer compréhensifs pour les factures à venir, les pharmaciens concernés sont d’autant plus inquiets qu’il leur faut d’urgence trouver un autre centre comptable… et que ces derniers ne sont pas forcément en mesure d’accepter du jour au lendemain des milliers de nouveaux adhérents. Jusqu’à ces dernières semaines, la défaillance d’un tel centre était « inimaginable », et la page d’accueil d’AvP, bardée de labels de qualité, illustrait bien cette confiance avec son slogan « des innovations qui comptent »…
Même si AvP, dans son ultime communiqué, assure les pharmaciens que leur argent, versé par les caisses, est en sécurité, beaucoup d’officinaux désormais à court de liquidités entrevoient le spectre de la fermeture, d’autant que la situation économique des officines est loin d’être rose, et que le Covid-19 n’a rien arrangé. De plus, les avocats redoutent que les procédures de récupération des sommes ne soient très longues et complexes. Les instances professionnelles se mobilisent pour aider les pharmaciens, et certaines souhaitent faire appel aux pouvoirs publics : en effet, l’adhésion à ces centres de gestion comptable est une obligation légale pour les pharmaciens, dont l’activité constitue aussi un service public et ne peut être comparée à un commerce privé. Outre les 3 500 officines clientes d’AvP, un certain nombre de pharmacies hospitalières se retrouvent dans la même situation, avec des conséquences identiques.