- Bruno, à ton avis, laquelle je prends pour la pharmacie ?
- Tu ne peux pas lâcher le boulot un peu, de temps en temps. On est en vacances, Marion ! Vacances. Après les semaines que tu viens d'enchaîner, si on pouvait ne plus parler de pharmacie, de tests, de vaccins… Une semaine. Une toute petite semaine.
Marion hausse les épaules et prend la carte postale la plus laide de la collection.
- Kitch à souhait. Je suis certaine qu'elle plaira à Damien.
Son mari et son fils, Anatole, l'attendent sur le trottoir.
- On va voir le match de hockey sur la place. Ça te tente maman ?
- Je vous rejoins. J'écris d'abord la carte pour l'envoyer dès ce soir. Sinon, je sais qu'elle va rester dans mon sac jusqu'à mon retour.
Marion marque une pause, puis se rapproche de son mari :
- Je suis comme ça. Je me sens bien dans cette équipe, alors je pense à eux, c'est normal. Même Nicole me manque un peu dis donc.
- Tu es trop gentille toi, répond Bruno en l'embrassant furtivement.
Assise sur un banc, isolée de l'agitation du centre-ville, la pharmacienne regarde le soleil glissé doucement derrière la montagne, transformant pendant quelques secondes le manteau blanc en voile doré. Une femme passe devant elle ; elle marche vite. Leur regard se croise. Alors que Marion range la carte postale dans son sac à main, elle entend un cri. La passante est à terre, immobile. Marion accourt :
- Madame ? Madame ? Vous m'entendez ?
La passante a perdu connaissance. Marion sent la panique monter. Il n'y a personne autour et, pour une fois, son téléphone est resté à l'appartement. Elle respire et recommence à parler à la femme allongée :
- Madame, je suis Marion, je suis pharmacienne. Je suis avec vous. Des secours vont venir.
Tout en parlant, Marion se rend compte que du sang coule dans les cheveux de la victime. Elle prend le pouls. Elle le sent. Lorsque la femme reprend connaissance, elle est très pâle :
- J'ai froid, j'ai froid. Et j'ai mal à ma tête, dit-elle en tremblant.
Marion trouve un sachet de compresse dans son sac à main. « Tant pis pour les gants de protection. L'urgence, c'est l'urgence », songe-t-elle en appliquant à main nue la compresse sur la plaie.
- Madame, je suis là. Je vais vous réchauffer avec mon manteau, tente de rassurer Marion alors que le froid s'installe rapidement au fur et à mesure que le ciel s'obscurcit. Je ne vous fais pas mal ? Je vous pose une compresse, Madame. Je m'appelle Marion. Et vous ?
- Isabelle. J'ai envie de vomir.
- Madame, vous…
Quand elle veut replacer le gant tombé à la main de la blessée, la pharmacienne se rend compte que les côtés des doigts sont durs et rugueux. Sans hésiter, elle fouille dans le sac de la victime. Elle y trouve une ordonnance de glucagon.
- Isabelle, vous êtes diabétique ? Dites-moi, vous êtes diabétique ?
- Oui.
- Isabelle, vous avez du sucre ? Je regarde dans votre sac.
- Non, je n'en ai plus.
Marion se souvient avoir glissé un stick de sucre en poudre dans sa poche de manteau. Un stick qu'elle a récupéré plus tôt au café des pistes.
- Isabelle, j'ai ce qu'il faut. Vous allez vous sentir mieux.
Tandis que la victime avale le sucre en poudre, Marion interpelle deux jeunes snowboarders.
- S'il vous plaît, appelez les secours. Madame a eu un malaise, il faut appeler les pompiers.
- Non non, l'interrompt Isabelle. Ça va mieux.
- Et moi je vous dis que c'est préférable. Vous avez perdu connaissance et vous vous êtes blessée à la tête. Il faut qu'un médecin vous ausculte. Faites-moi confiance Isabelle, je suis pharmacienne, dit Marion en fixant le regard d'Isabelle, ses deux mains chaudes posées sur les joues de la femme.
(À suivre…)