- A voté, déclare pour la centième fois de la journée Karine en actionnant le dispositif d'ouverture de l'urne.
- La pharmacienne est de service ce matin, lui lance Monsieur Margeot tout sourire. Ça tombe bien, je voulais vous montrer cela.
Loin d'être embarrassé par le regard des autres électeurs, l'homme découvre son bras couvert de plaques rouges.
- J'ai l'impression que ça a commencé depuis que le médecin m'a changé mon médicament contre l'anxiété. Ma femme me dit d'aller vous voir…
Depuis le matin, Karine doit faire preuve de beaucoup de tact pour rappeler aux nombreux clients qu'elle croise que le bureau de vote n'est pas la pharmacie.
- On en parlera demain si vous voulez Monsieur Margeot, répond la pharmacienne, tandis que deux personnes sortent de l'isoloir et s'approchent d'elle. Passez me voir à la pharmacie.
- Grâce à toi, je crois que je vais connaître tous les problèmes de santé des habitants du quartier, ironise Sophie, l'assesseur en charge de l'émargement sur le registre des électeurs.
- C'est juste infernal. Ils n'ont aucune gêne à parler de leurs problèmes devant tout le monde. Quand je pense qu'on reproche à l'officine le manque de confidentialité…
- Tu es leur pharmacienne. Au fond, c'est plutôt valorisant cette confiance qu'ils t'accordent.
Karine se retourne vers l'électrice suivante :
- Madame Chapovski. A voté.
- Ah, Docteur. Vous savez, les chaussettes que vous m'avez vendues, elles ont un trou. Pourtant je fais attention. Mais comme c'est difficile à enfiler, je force un peu. Mon doigt est passé à travers !
Karine sourit à Sophie, et répond à la cliente :
- Effectivement. Nous en reparlerons à la pharmacie si vous êtes d'accord. Nous trouverons une solution.
- C'est gentil. Si c'est le petit Théo qui s'occupe de moi, ce sera encore mieux. Si j'avais vingt ans de moins…
« Plutôt quarante ans », songe Karine avant de saluer la cliente.
- Je suis certaine que le prochain va te demander quel médicament prendre pour aller aux toilettes, plaisante Sophie. Entre nous, ils sont attachants. Et tu vois, je me rends compte de l'importance du pharmacien pour les citoyens. La pharmacie ne fait pas le pharmacien.
Karine la regarde, surprise.
- Tu as raison. Je ne suis pas pharmacienne que quand j'enfile ma blouse, je le suis tout le temps. C'est un sacerdoce en fait… Oh non, pas elle, s'écrie soudain Karine en voyant Véronique Mazarin entrer dans le bureau de vote.
Depuis son accident sur le parking de la Pharmacie du Marché, la femme porte une chevillère pour maintenir son articulation et marche en s'aidant d'une béquille.
- La série continue, s'esclaffe Sophie. C'est pas cette dame qui a eu un accident sur votre parking ? Elle a l'air spécial. Elle raconte à qui veut l'entendre qu'elle est tombée à cause du revêtement devant la pharmacie.
- En omettant de dire qu'elle est sortie pendant l'orage, sous une nuée de grêlons gros comme des balles de golf. Elle demande que notre assurance prenne en charge tous les frais liés à sa chute et lui verse un dédommagement. Cette femme est insupportable. Elle a fait toutes les pharmacies du secteur, et ça s'est toujours mal fini… Cherchez l'erreur.
- Un sacerdoce, rétorque Sophie en riant franchement.
(À suivre…)