- Madame Carrier, nous pourrions faire un bilan de tous vos médicaments si vous le souhaitez. C'est un rendez-vous pris en charge par l'assurance-maladie, qui permet de reprendre l'ensemble de vos traitements, que ce soit celui prescrit par votre médecin traitant, votre ophtalmologiste ou votre néphrologue, explique Marion, très enthousiaste à l'idée de reprendre cette activité mise en pause depuis quelques mois à la pharmacie du Marché.
- Ce n'est pas la peine, nous avons déjà fait cela avec la petite infirmière qui travaille avec mon médecin. Elle est très mignonne. Elle a pris le temps de tout me réexpliquer mes médicaments, celui-là surtout, répond la femme en pointant du doigt une grosse boîte mauve et bleue.
Surprise et vexée à la fois, Marion bafouille :
- Comment cela ?
- Eh bien elle m'a reçue la semaine dernière - elle a un bureau à elle à côté de celui du docteur - et nous avons discuté pendant une heure. Elle m'a dit par exemple que pour ce médicament, si je préfère, je peux le prendre le soir. Pour celui-ci, je lui ai dit que c'était trop gros à avaler. Et vous savez ce qu'elle m'a dit ? Que ça existe en sachet ! Alors le médecin a changé sa prescription.
Marion a entendu parler de ce nouveau métier d'infirmier en pratique avancée sans jamais chercher à en savoir plus. En écoutant le récit de Madame Carrier, elle comprend l'intérêt pour le patient de cette activité à mi-chemin entre l'infirmier et le médecin, mais ne peut s'empêcher d'y voir une concurrence avec son propre métier, surtout lorsque des conseils aussi avisés sur le médicament sont apportés.
« Pourquoi n'avons-nous jamais songé à proposer la forme buvable à Mme Carrier ? C'est de sa faute après tout : elle ne nous a jamais dit qu'elle avait du mal à avaler les comprimés. Non quand même, nous aurions dû être plus vigilants, plus à l'écoute… », songe la pharmacienne.
- Marion ? Vous pourrez me donner du paracétamol 1 g en comprimé s'il vous plaît ?, demande la patiente pour la seconde fois.
- Oui bien sûr.
Lorsque Marion revient dans le back-office, elle croise Karine, tout juste de retour de Guadeloupe.
- Tu as l'air contrariée Marion.
- C'est que je me rends compte que notre profession se fait concurrencer de tous les côtés. Et en plus, cette concurrence est de qualité.
L'adjointe raconte à Karine l'expérience de Mme Carrier avec l'infirmière en pratique avancée :
- La semaine dernière, c'était la concurrence par un prestataire de matériel médical. Cette semaine, j'apprends que des infirmiers font notre boulot et expliquent les traitements médicamenteux… Il y a un problème non ?
- C'est vrai que les pharmaciens ne se sont peut-être pas assez investis dans ces bilans de médication. C'est vrai aussi que nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour les développer, entre la Covid et les ruptures de stock, objecte Karine.
- Peut-être aussi que ce n'est pas raisonnable de tout confier à l'officine. Je me verrai bien pharmacien en pratique avancée, pour accompagner les médecins dans leur prescription, les aider à trouver des alternatives compatibles avec le profil du patient, et aider les patients dans la compréhension de leur traitement, confie Marion.
(À suivre…)